Redevenir des hommes, des sujets
Sortir du génocide est-ce restaurer l’humanité ? Comment restituer transmission, filiation, histoire au sujet. Comment le psychisme peut il se remettre en mouvement et quitter la sidération traumatique ? S’il s’agit de réinscrire le sujet au titre individuel dans l’humanité, cela est-il possible après l’effraction et l’écrasement dont il a été victime ? Pour nous essayer à répondre, nous allons examiner les mécanismes en jeu. A travers la clinique tout d’abord, puis les expressions de l’après génocide que sont l’art, l’écriture, le témoignage ainsi que par les aspects liés à la loi et aux lois.
IIIA- Clinique : Le vécu des génocides et des camps induit une nouvelle économie clinique définie par le « relâchement du lien social, la recherche de satisfactions immédiates. »[2] L’expérience du camp, le face à face et le vécu déshumanisant ont influé la clinique de Bettelheim et de son Ecole. A l’instar de Trigano, et de son club Med, il fonda un anti-camp, « l’Orthogenic School » fondée à Chicago pour traiter les enfants autistiques. On retrouve le dispositif Trigano de cet anti-camp dans le dispositif alimentaire, placards pleins de bonbons, lieu accueillant, ouverture de toutes les salles, pas de règle disciplinaire. Il soulignera les parallèles avec les camps : « Ce qui pour le prisonnier est la réalité extérieure, est pour l’enfant autistique sa réalité intérieure. »[3] Bettelheim s’intéressa également aux enfants sauvages et en déduisit que « la sauvagerie de ces enfants est le résultat du désir de mort aigu qui a pesé sur eux, les condamnant à l’autisme ». Les témoignages attestent que tous les enfants rescapés avaient été gravement blessés dans leur humanité par le camp ou le génocide, ce qui semble corroborer les observations conduites par Betthelheim. Nous pouvons citer aussi Victor Frankl, psychiatre déporté qui a développé la logothérapie. C’est une psychothérapie qui fait surgir du sentiment de vide existentiel, cause de souffrance psychique, une raison de vivre. Cela relève pour lui de trois registres; « celui de la création, celui de l’amour, celui de la dignité de la souffrance incurable ».[4]Frankl s’éloigna de Freud et soutenait que la psychanalyse visait à la satisfaction des envies, négligeant l’importance de la sublimation. L’objectif de sa cure était d’amener le sujet à la conscience du but de sa vie, but que l’on peut rapprocher de la notion d’émergence du désir chez Lacan. Il s’agirait, de fait, de désamorcer le trauma. Freud mourut avant le déclenchement du génocide juif. Sa fille, Anna, consacra une étude aux enfants survivants dans son ouvrage L’enfant dans la psychanalyse, [5], étude intitulée, Survie et développement d’un groupe d’enfants : une expérience bien particulière. Ces enfants sauvages manifestèrent une grande solidarité pour les membres de leur groupe, témoignage de la faiblesse de leur image spéculaire. Peu à peu, les enfants évoluèrent pour développer un attachement spécifique, et établir une relation d’objet. Les enfants s’étaient repliés sur leur propre corps, à savoir sur leur narcissisme primaire, proche de l’instinct de conservation. Le trait unaire [6] fut constitué pour eux par une cuillère portant des traits, mémoire de la cuillère du camp gravée aux initiales, seule possession des enfants et des adultes. Anna Freud nota que ces enfants avaient une relation très forte au « petit autre », c'est-à-dire, dans ce cas, à l’image spéculaire. Pour Lacan, qui a consacré ses derniers travaux au Réel, le Réel de notre temps, ce sont les camps (1967). Il définira une nouvelle entité clinique : la névrose concentrationnaire. D’aucuns, dont Anne-Lise Stern, rescapée d’Auschwitz, une de ses analysantes, diront que toute l’œuvre de Lacan est structurée par cette confrontation et cette réflexion à propos du camp. C’est Lacan qui a parlé de l’éclatement du moi, confronté à l’horreur. Lacan s’en réfèrera à Sophocle et à Antigone, dans son ouvrage, l’Ethique de la psychanalyse. Gérard Haddad, psychanalyste et auteur, considère que Créon représente Hitler et le nazisme. Lacan reprend cela dans Proposition d’Octobre 1967 (Autres Ecrits) ; en parlant du nazisme comme d’un « réactif précurseur ». Simone Piralian avance l’hypothèse que la psychanalyse serait un outil de prévention puisque décryptant et protégeant le champ symbolique de la parole. Elle suggère que Freud aurait pu inventer la psychanalyse comme tentative de barrage à la montée du nazisme à son époque. Dans Malaise dans la civilisation, Freud évoque la possibilité que les hommes s’entre-exterminent jusqu’au dernier, au regard probable des perturbations et agitations de ses contemporains. Ce texte a été écrit en 1929, époque de pogroms juifs impunis. Citons également, en 1947 K. Hermann et P. Thygesen qui définirent le syndrome du camp de concentration, après examen de plusieurs déportés. Léo Eitinger, psychiatre juif et Norvégien a observé que : presque tous les rescapés souffrent de désordres mentaux, sans lien avec leur personnalité précédente. Cela induit le concept psychopathologique de Post Traumatic Syndrome Desease. Ceci a été repris aux Etats-Unis, notamment pour les suites de la guerre du Viêt-Nam. Enfin, le concept Anglo-saxon de résilience est issu aussi de la clinique des camps, John Bowlby le développa. Ce terme, emprunté au vocabulaire du traitement des métaux désigne la capacité des matériaux à retrouver leur état initial à la suite d’un choc. Dans le domaine de l’écologie, ce terme renvoie à la capacité de régénération d’un organisme ou d’une population, d’un écosystème à se remettre d’une catastrophe. En psychologie clinique, c’est l’aptitude des individus et des systèmes à vaincre l’adversité, à continuer à survivre en dépit des chocs traumatiques, en développant des mécanismes de résistance. Ce mot issu du latin resalire (re-sauter) est passé dans la psychologie en 1960 avec Emmy Werner. Il a été développé par Boris Cyrulnik. La résilience, ou « renaître de sa souffrance » le concerne au premier chef, car d’origine juive polonaise, il fut arrêté, caché.[7] « La pathologie des camps pourrait bien éclairer quelques-uns de nos maux actuels : mal des ghettos où la misère et le non-droit se concentrent, « enfants sauvages », sujets de la rupture de la chaîne des filiations et des cultures déchirées. La Loi étant abolie, le champ est libre pour le déchaînement de la violence érigée en valeur Ces « enfants sauvages », ces adeptes des paradis artificiels en tout genre, sont eux aussi, sans qu’ils le sachent, des enfants victimes du Camp. »[8] La clinique des autistes apporte également des observations quant à la panne de symbolisation. Les études indiquent qu’il y a un profil d’enfants traumatisés ayant aptitude à la résilience, ceux qui ont acquis une confiance primitive entre 0 et 12 mois. Il a été observé que ces enfants, s’ils en ont l’occasion, sont étayés par des activités de création. Témoignage mais aussi étude de l’âme humaine, la littérature des camps a apporté à la clinique ; Citons le travail de Pierre Bayard, [9]sur l’application de la psychanalyse à la littérature ; la littérature ayant une position particulière comme connaissance du psychisme humain, l’identification reliant lecteur et créateur. Gérard Haddad, [10] attribue autant de force à la littérature pour son apport quant à la connaissance des ravages sur le sujet amenés par le totalitarisme que les colloques et « écrits doctes ». La parole est jetée « entre deux » « alors que l’écrit à besoin d’un support […]. L’écriture localise, la parole est plus dynamique.» [11] Semprun livre sa réflexion sur la valeur respective du témoignage, du document filmé, de la littérature des camps. Rappelons qu’il est philosophe. Mais « l’enjeu ne sera pas la description de l’horreur. [...] l’enjeu en sera l’exploration de l’âme humaine dans l’horreur du Mal... il nous faudra un Dostoiëvski. »[12] ……….
IIIB-Points de résilience, ponts vers l’humain : Au sein de l’univers génocidaire, on peut observer des zones de résilience. Pendant le Génocide même ou au camp, les victimes maintiennent certains aspects qui permettent une réaction face à la toute puissance génocidaire, en élaborant une tentative de résistance à l’écrasement, en faisant émerger un espoir de reconstruction possible. On observe plusieurs stratégies de survivance : le jeu, la beauté ou émoi esthétique, l’imaginaire, l’activité culturelle et le partage. Les prisonniers jouent : c’est le maintien d’un espace intermédiaire, par le jeu : Comme nous l’avons rappelé, la transmission « normale » exige un espace de jeu, lieu transitionnel où l’enfant peut se livrer à la capacité de transformation et d’appropriation symbolique. Comme en témoigne Robert Antelme, les prisonniers, en jouant, essaient de se départir de la toute-puissance envahissante de l’oppresseur : « Nous voudrions aussi jouer un peu. On se lasserait vite, mais, ce qu’on voudrait, c’est cela, la tête en bas et les pieds en l’air. Ce que l’on a envie de faire aux dieux ».[14] Ces dieux étant les dieux obscurs et maléfiques, les nazis. Cela nous ramène au temps du petit enfant qui maîtrise par le jeu son environnement, destituant peu à peu ainsi la toute-puissance maternelle. Freud, dans son article traitant de la création littéraire, indique que le jeu a la même fonction que le rêve éveillé ; il permet une coupure avec le trop réel du traumatisme : « Le contraire du jeu n'est pas le sérieux, mais la réalité. En dépit de tout investissement d'affect, l'enfant distingue fort bien de la réalité le monde de ses jeux, il cherche volontiers un point d'appui aux objets et aux situations qu'il imagine dans les choses palpables et visibles du monde réel. Rien d'autre que cet appui ne différencie le jeu de l'enfant du « rêve éveillé ».[15] Winnicott, dans son ouvrage Jeu et réalité, a détaillé le concept nommé « espace transitionnel ». Espace investi et inventé par le jeu, tout comme pour le for/da, par la répétition qui permet une maîtrise nerveuse et motrice et une lutte contre l’angoisse. L’expérimentation permet de savoir que la maman reviendra, donc cela reste un jeu d’attente qui permet la maturation progressive du système nerveux. L’invention par le jeu permet à l’enfant de trouver sa limite corporelle. De définir, via l’espace transitionnel sécure ce qui est soi ou non soi. L’objet transitionnel est le premier non moi du bébé (projection) qui supplée à la carence maternelle, établit la relation du corps du bébé au sein (dans le sens des soins apportés à l’enfant). Par le jeu, il s’agit donc de réétablir un espace protégé : Il s’agit d’un essai inconscient de retour aux étapes fondatrices du sujet et aux espaces sécurisés et contenants. Le traumatisme de guerre installe le sujet dans une position de qui-vive, d’éternelle attente. Son monde est en miettes, il l’a reconstruit avec une grande rationalité qui couvre la fragilité. La survie étant affaire de représentation, la survie par l’imaginaire est une possibilité dont témoigne Aharon Appelfeld dans son livre, l’histoire d’une vie, [16] qu’il se protège dans la forêt comme si c’était une maison de branchages et de troncs qui devient un lieu transitionnel La beauté serait alors le dernier rempart contre l’horreur, en l’occurrence l’horreur du corps morcelé. Gérard Haddad, psychanalyste, relate qu’il découvre, en Israël un hôpital psychiatrique plein de beauté. Cela fait penser à l’anti-camp que nous exposerons plus loin. La beauté comme thérapeutique a été évoquée aussi par les auteurs dans leurs témoignages, ainsi Robert Antelme, dans L’espèce humaine écrivait : « Les bois étaient très beaux,. Nous les avons encore regardés. »[17] Le génocide, le camp, plongent le sujet dans une laideur absolue. L’image spéculaire qui donne au sujet le sentiment de son unité vole en éclats. La beauté serait le ciment, la colle qui permettrait au sujet de tenir ensemble les différentes parties du corps, rappelant l’enfant au moment où il est placé devant un miroir. Melzner défend la thèse du conflit esthétique entre l’immense beauté de la mère (aux yeux du petit enfant) et la beauté de l’objet, ce qui créerait un conflit pour l’infans. [18] Cette recherche esthétique tiendrait alors lieu d’attitude régressive envers la mère et l’objet, pour revenir à un temps fondateur pour le sujet. Nous retrouvons ces aspects spéculaires dans le témoignage de cette ancienne déportée qui, à son retour du camp, pendant des mois avait peur de découvrir qu’elle n’avait pas d’image.[19] Le meurtre de masse détruit l’image spéculaire. Il faut reconstruire l’image dans le miroir. Robert Antelme, dans L’espèce humaine, décrit les hommes affamés de leur image dans le miroir : « La dernière fois que j’ai eu le miroir, […) d’abord, j’ai vu apparaitre une figure. J’avais oublié.[..] le regard du SS, sa manière d’être avec nous,[…] signifiaient qu’il n’existait pas pour lui de différence entre telle ou telle figure de détenu. »[20] Ou bien encore Jorge Semprun : « Depuis deux ans, je vivais sans visage. Nul miroir, à Buchenwald. Je voyais mon corps, sa maigreur croissante, une fois par semaine, aux douches. Pas de visage, sur ce corps dérisoire. »[21], Le regard de l’autre en prend d’autant plus d’importance. « Depuis bientôt deux ans, je vivais entouré de regards fraternels. Quand regard il y avait : la plupart des déportés en étaient démunis. …] Mais il état fraternel, le regard qui avait survécu. D’être nourri de tant de mort, probablement. Nourri d’un si riche partage. »[22] , Regard fraternel qui répond au regard surmoïque et destructeur du tortionnaire. Cela nous renvoie au schéma R de Lacan, porté en annexe. [23] Le sens d’une vie est tissé de représentations, de souvenirs, d’images. La bulle se forme le jour où le sujet rencontre son image dans le miroir et a pour fonction « d’insérer dans une illusoire cohérence et unité des perceptions que nos sens nous fournissent ».[24]. Le trauma a pour « effet premier de fracasser cette bulle de l’imaginaire ».[25] Personne ne peut vivre avec une image du corps fracassée ; A partir des fragments, il s’agit de se reconstruire une représentation, un puzzle. L’image première étant irrémédiablement perdue, il s’agit d’en reconstruire une autre, mais la vérité que l’Autre pouvait nous apporter semble aussi écornée. N’oublions pas que dans le stade du miroir et la construction de l’image du corps, c’est l’Autre, souvent la mère, qui réassure l’enfant que c’est bien lui qui est dans le miroir. Un autre exemple, cité par Gérard Haddad dans son ouvrage, « Lumière des astres éteints, la psychanalyse face aux camps, insiste sur ce point. Les enfants rescapés de Buchenwald économisaient pour pouvoir se tirer le portrait à une machine de Photomaton. Ils restaient des heures à contempler leur image. « Si j’ai un jour découvert que l’homme mange des mots, de l’écriture, des livres, j’ai appris depuis qu’il mange aussi des images. »[26] Jacques Lacan décrit dans « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je « (1949), le stade du miroir comme " l'assomption jubilatoire de son image spéculaire par l'être encore plongé dans l'impuissance motrice et la dépendance du nourrissage qu'est le petit homme à ce stade infans, [et qui] nous paraîtra dès lors manifester en une situation exemplaire la matrice symbolique où le je se précipite en une forme primordiale, avant qu'il ne s'objective dans la dialectique de l'identification à l'autre et que le langage ne lui restitue dans l'universel sa fonction de sujet. « Il s'agit de l'identification de l'enfant à l'image du miroir au point qu'il ne peut s'en distinguer jusqu'à ce que son Moi parvienne à s'en dégager, " l'image renforce alors l'expérience de l'intrusion d'une tendance étrangère que Lacan appelle l' "intrusion narcissique". [27] Le narcissisme relève à la fois de l'investissement libidinal de l'image de soi et de la formation même de cette image, rêve dans lequel elle s'admirait elle-même à travers son portrait. Les traumatisés du génocide, du camp, luttent contre la dislocation par la relation privilégiée avec un ami : « Mais Lorenzo était un homme : son humanité était pure et intacte, il n’appartenait pas à ce monde de négation. C’est à Lorenzo que je dois de n’avoir pas oublié que moi aussi j’étais un homme. »[28] L’autre permet de relayer mon image spéculaire. C’est une relation dyadique. Si l’un meurt, l’autre suit rapidement. En l’absence d’autre pouvant servir de support transférentiel, écrire est une solution qui permet de réinventer le temps de l’émergence d’un autre. Dans Clinique de la déshumanisation, Jean-Richard Freyman cite le cas de Pitesti, en Roumanie, en 1949, expérience « scientifique » dont le but était de transformer profondément le psychisme humain. Un survivant a pu se sortir de ses souffrances car il a établi un lien avec un cafard. En établissant cette relation transférentielle, il a pu se situer « en humain envers quelqu’un ».[29] et réinstaurer ainsi une part de narcissisme. Il en va de même pour les repères au champ du collectif. Les processus psychiques de la transmission sont articulés aux cadres et garants ; espace psychique de la famille, du groupe, interdits fondamentaux, lois, idéaux communs, représentations symboliques, imaginaires, alliances, pactes. Nous pouvons assimiler cet ensemble de cadres au patrimoine et environnement culturel qui ont été anéantis par le meurtre collectif. Ces repères, inconsciemment introjectés, sont recherchés par les survivants comme outils ou structures d’étayage et de survie. Certains déportés étaient convaincus que leur survie dépendait de la conservation de leur patrimoine culturel ; Primo Levi note que « la culture pouvait servir […] maintenir l’intelligence en vie et en bonne santé. »[30], il témoigne de son effort pour retenir un poème de Leopardi ou une valeur en chimie (il était chimiste). Les fragments de savoir semblent aussi essentiels à la survie que les pelures de pomme de terre ramassées dans la poubelle. Les victimes résistent également en maintenant une activité intellectuelle. Ainsi, Jorge Semprun, formé à la philosophie, continue sa réflexion dans le camp. Le dimanche, épuisé, il parle avec ses professeurs et évoque les concepts philosophiques. « L’expérience du Mal [...] aura été vécue comme expérience de la mort […] Nous ne sommes pas des rescapés, mais des revenants… […] ce n’est pas crédible, ce n’est pas partageable, à peine compréhensible, puisque la mort est, pour la pensée rationnelle, le seul événement dont nous ne pourrons jamais faire l’expérience individuelle… qui ne peut être saisi que sous la forme de l’angoisse, du pressentiment ou du désir funeste…sur le mode du futur antérieur, donc. Et pourtant, nous avons vécu l’expérience de la mort comme une expérience collective, fraternelle de surcroît, fondant notre[31] être-ensemble. »[32] D’autres récitent des poèmes ou chantent. C’est un partage culturel et le maintien d’une mémoire ; En « en avril 1945, dans le réfectoire d’un baraquement français de Buchenwald, le 34, nous avons déclamé Char et Aragon, mon copain Tasltzky et moi. »[33] Face au dessein de déshumanisation, la culture s’impose aux déportés et fait triompher l’esprit et la fraternité, du moins en ce qui concerne le génocide nazi. Dans le cas du génocide turc, il semble au contraire que la culture soit demeurée comme une échappatoire personnelle à la folie des bourreaux, sans parvenir, ou du moins en de rares occasions, à faire émerger la solidarité entre déportés. Dans la clinique du Trauma décrite par Ferenczi (1933), il est exposé que le trauma résulte de mouvements passionnels venant d’adultes auprès d’enfants, du déni de ces adultes de la souffrance éprouvée et infligée aux enfants. L’enfant est entravé dans sa capacité de penser et devient le soignant de ses parents en sacrifiant une partie de son développement. L’adulte qui réagit par le silence peut aussi transformer l’amour en haine. C’est ce qu’on retrouve dans la transmission consécutive au génocide, le silence transmis déjà évoqué et les fantômes transgénérationnels. « Au Lager, où l’homme est seul et où la lutte pour la vie se réduit à son mécanisme primordial, la loi inique et ouvertement en vigueur et unanimement reconnue. […] mais »les musulmans », les hommes en voie de désintégration, ceux-là ne valent même pas la peine qu’on leur adresse la parole, puisqu’on sait d’avance qu’ ils commenceraient à se plaindre et à parler de ce qu’ils mangeaient quant ils étaient chez eux », « et c’est encore en solitaires qu’ils meurent et disparaissent, sans laisser de trace dans la mémoire de personne. »[34] Au niveau individuel, il s’agit de récupérer la mémoire individuelle et collective en se réinscrivant dans une identité de groupe, dans l’humanité, par la loi symbolique du langage.
Le peuple Allemand, en voulant éliminer les juifs, les Turcs en voulant éliminer les Arméniens, cherchaient à s’amputer d’une part originaire de leur être, en rapport avec une jouissance interdite. Se réinscrire serait donc aussi un enjeu pour l’agresseur. Par exemple, dans le cas de la Turquie, accepter un tribunal pénal international d’historiens afin de réinscrire l’interdiction du meurtre dans le droit et l’histoire. Jean-Pierre Lebrun précise que : . « Ce Tiers auquel continue à renvoyer, malgré tout, toute situation d’abus est supprimé dans le camp d’extermination[36] », cela afin de dessiner les contours de l’avenir « comme une parole ou un geste dessine autour du petit patient psychotique la limite de son effroi. […] le travail de mémoire, […] doit être un travail de reviviscence afin de demeurer porteur de pulsion de vie. »[37] Une expression palpable de ce travail de reviviscence est offerte par l’art.
Extrait du poème « Regard par la fenêtre » de Artem Haroutionian [38] IIIC- L’Art : La survivance : IIIC1 -L’art : Il y a déracinement des êtres et des mots. La fiction reconstruit un système susceptible de faire naître la compréhension et l’inclusion de l’épisode génocidaire comme bases redéfinies de la société. Ce système ne peut être dû exclusivement à l’imagination des déportés : l’artifice ne fonctionne pleinement que s’il concilie l’imagination des témoins et références culturelles partagées par tous. L’usage de l’imagination n’est pas cependant un expédient parfait et demeure problématique, preuve en est le refus quasi unanime des rescapés arméniens de recourir à l’art dans leurs témoignages. La transformation de Zoe en bios [39] permet l’établissement de la bios-graphein, la biographie, qui permet de configurer une histoire.Métamorphoser le bíos en oeuvre d’art par l’acte de création de l’écriture de soi ou l’expression plastique est une façon de traverser sa destinée, l’écriture de soi créée du sens à l’existence. L’imaginaire à l’œuvre donne forme et contenu au parcours qu’a interprété le sujet. C’est une tentative de transformation du monde, de signification et de resignification. Cela permet de relier la souffrance au corps social. La vie, le bios est transformée en forme esthétique par l’autobiographie. Cela restitue la représentation mythique. Nous reviendrons sur l’écriture plus en détail. D’autres formes d’expression artistiques ont émergé de l’après génocide. Georges Didi-Huberman[40] philosophe et historien de l’art, commente les photographies des camps comme expression artistique. Il affirme que les auteurs sont dans la nécessité violente et urgente de l’imagination, en représentant, esthétiquement, la violence de l’histoire. Cet auteur a développé le concept de survivance, développé d’après le travail de Warburg, historien de l’art, dans son ouvrage, L’Image survivante : histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg ; ce terme de survivance est repris par Jeanine Altounian dans ses ouvrages. La survivance est un principe nouveau d’histoire de l’art. C’est une même forme, une même image qui réapparait. L’histoire de l’art récuse le cyclique ou le linéaire du temps. L’image qui réapparait, survivante, sommative, cumule tous les moments de son apparition. Une autre forme d’art et de survivance est condensée aussi par l’écriture. Citons également les colonnes de Buren, dans les jardins du Palais Royal, (1986), à Paris ; On leur attribue une parenté avec les Mémorials du génocide Juif à Berlin et les vêtements rayés des déportés. Le peintre François Rouan est aussi à remarquer. Il a rencontré Lacan dans les années 70 et a développé une technique picturale basée sur des tissages de bandes peintes. Ces tableaux eurent beaucoup d’impact sur Lacan, car c’était l’époque de l’élaboration de la topologie du nœud. Les tableaux de Rouan ont cette structure nodale. On apprendra plus tard que ce peintre, fils de résistant, a été emprisonné avec sa mère et a appris à marcher en prison. Ce tissage interroge sur la forme. Lors de la présentation de son ouvrage, Archives incandescentes (CHS de Montfavet, le 22/03/12) Simone Molina insiste sur les points suivants : la forme va avec le fond et ne peut que témoigner de l’éclatement du trauma. Le morcellement du récit traduisant le morcellement du trauma est une manière créative de faire quelque chose avec le trauma, de réorganiser par l’imagination. Freud découvrira les processus centraux de la vie psychique, processus primaires permettant de contourner la censure afin de produire une représentation aux contenus fantasmatiques : rêve et production artistique. La condensation qui permet de réunir en une seule représentation plusieurs éléments : le personnage littéraire qui est de fait un composite en est l’exemple. Le déplacement qui permet de représenter un élément par un autre par un rapport de contigüité, il s’agit du procédé de métonymie. Les processus secondaires qui appartiennent au système préconscient-conscient président au travail de création. Créer serait donc transformer, à partir du refoulé traumatique, puisque le mécanisme essentiel impliqué est le refoulement. Le refoulé découvert amène au jugement et à la sublimation ou au jugement ou à la sublimation. La sublimation est une métaphorisation, c'est-à-dire une présentation d’un vécu d’une manière qui n’est pas celle de la réalité. Le ça y est opérant. Pour Freud, c’est un processus qui tend à remplacer l’objet sexuel par un objet non sexuel par la pulsion sexuelle. Le ça est marqué par les processus secondaires et la sublimation éloigne des répétitions stéréotypées. . L’art et l’écriture sont des effets et produits de la sublimation. Il est fait appel à une défense antérieure à la défense constituée par le refoulement nommée renversement. C’est une négation. La négation est donc à la base du processus d’organisation psychique, le renversement est à la base du refoulement. Le sujet doit revenir au moment du refoulement originaire. C’est le temps logique dans lequel le sujet, sidéré, est dans un entre-deux où il ne peut pas rester pour inscrire sa temporalité historique ; Il est entre le passé traumatique d’où il a été arraché par le refoulement originaire et l’avenir où il doit venir. Il fait appel à la dimension de l’infini, dont Lacan nous apprend que le signifiant perdu du refoulement originaire est porteur. Le signifiant primordial étant pur non-sens. C’est à ce point que peut apparaitre la sublimation. On peut passer des représentations de choses (visuelles), sises dans l’inconscient aux représentations de mots (auditives) sises dans le préconscient et le conscient. C’est un des ressorts de la cure et de l’écriture, qui permet de maitriser l’angoisse. . Les agents en sont la condensation, le déplacement, le glissement de signifiants (métaphore, métonymie.) Concernant les récits, la première étape sera la perlaboration : une construction[41]. En ce sens, on peut envisager l’écriture et l’art comme des perlaborations. La perlaboration apparait en 1914 dans l’article célèbre de Freud « répéter, remémorer, perlaborer » et en 1926 dans Inhibition, symptôme, angoisse. Freud a évoqué ce concept pour une cure fondée sur la remémoration du passé refoulé et les résistances à cette remémoration. C’est une façon de décharger le refoulé. Rappelons que la perlaboration est un travail long et silencieux, fécond, un working-through qui permet à l’élaboration de faire son chemin en dépit de la résistance.[42] Métamorphoser la trace revient à transformer le réel traumatogène en expérience.Il s’agit de savoir faire avec les restes plutôt qu’avec le reste « a ». Pour la création, une autre notion à considérer est celle d’énaction[43], à savoir ce qui permet de faire émerger des relations, créer de nouvelles relations, une représentation qui n’est pas forcément copie du réel. Cela permet de restaurer des relations, par la création, entre différents éléments du monde et de faire émerger, reconstruire le monde.
Un des moyens de
reconstruction est l’écriture. De fait, les génocides ont engendré une
littérature spécifique, soit de fiction, soit de témoignage. Survivre dans
le bios pour passer à zoé, n’est pas, de l’écriture
symptomatique arrimée sur le corps, glisser à l’écriture encrée et ancrante ?
IIIC2-Ecriture ancrer, encrer
Le premier espace d’écriture est le corps. Nous rapprocherons cela « des musulmans, » morts-vivants des camps, qui même à l’état de cadavres, sont appelés « figuren », figures, les SS eux-mêmes ne pouvant les nommer. Ou des déportés, arméniens de 1915, « quarante à cinquante fantômes squelettiques sont entassés dans la cour […] ce sont des folles, elles ne savent plus manger. Quand on leur tend le pain, elles le jettent de côté avec indifférence. Elles gémissent en attendant la mort ».[44] Le temps de la sidération du trauma signifie que le sujet est le manque absolu, il est ramené au seul signifiant du refoulement originaire, il perd sa position désirante. Pour être dé-sidéré, il doit cesser d’être le manque, le manque cessant alors d’être pure présence pour pouvoir devenir représentable par un objet cause de désir. Lorsqu’une parole et une image spéculaire se greffent sur le corps et l’arrachent au réel, il est alors traversé par réel, symbolique et imaginaire. Espace saccagé par le génocide, le corps manifesterait par le symptôme la prise de corps d’une survivance. Une image refoulée surgirait du corps. Formation de compromis, le symptôme manifeste le désir ré émergeant ; La somatisation post-traumatique est l’ultime topique pour écrire sur le corps le fait qu’on est « encore là », ce qui signifie la position du sujet désirant. Cela permet le réaménagement psychique qui permet la survie, et le corps devient un lieu de repli envahi par la honte et la culpabilité surmoïque. Freud a découvert dans le symptôme une structure de temporalité, signe du « dégel » psychique. La notion psychanalytique de survivance, élaborée par Janine Altounian est une réaction à la mort sans deuil des arméniens lors du génocide de 1915. Les parents et ascendants sont des spectres. « La survivance désignerait ainsi la nécessité d'une vie à rebours, visant non pas à réparer les ancêtres ce qui reste proprement impossible, mais à leur faire symboliquement don en soi des conditions d'une parentalité psychique d'après-coup, là où tout moyen d'en exercer une leur avait été retiré. »[45]. Cette réapparition répétitive, différente à chaque fois vient indiquer un surplus de mémoire, un fantôme indépassable dans la mémoire collective, qui réapparait plus violemment à chaque fois. Ecrire est un message, c’est « l’appel du sujet adressé aux parents et visant leur silence. »[46] G. Didi-Huberman fusionne les deux modèles, survivance et symptôme, pour proposer l’image survivante comme la réalisation d’une mémoire en souffrance, une cristallisation de résidus vitaux de la mémoire. Le travail d’élaboration est alors celui qui est décrit par Jorge Semprun, travail régressif : « je commençais à remonter le cours de ma vie vers cette source, ce néant originaire »[47] Il faut se situer au temps d’avant la division du sujet, c'est-à-dire au temps de l’Aliénation à l’autre où il y a division entre le bien et le mal. Pour « guérir », il faudra inventer du symbolique avec du réel, comme dans la cure. Par cette reprise de l’activité de la pensée, il s’agit de se décoller de la fusion traumatique qui a fondu l’identité de la victime par le déni de langage, et de réintroduire de l’imaginaire, l’’imaginaire accompagnant habituellement la réalité. La narration permet de nouer et retisser imaginaire et le symbolique, d’entrelacer les anneaux du réel, du symbolique et de l’imaginaire. Ecrire permet d’inscrire un meurtre muet, de traduire une absence de langue à l’advenue à la parole, « amener à l’écriture un passé traumatique infantile ou transgénérationnel qui, jusqu’alors ne disposait pas de mots »[48], c’est une tentative de transitionnalisation., afin de réinscrire, resymboliser , c’est une élaboration de l’héritage traumatique.[49] La place du sujet dans son histoire « traumatophilique »[50] sera marquée par les retrouvailles avec le signifiant du Nom du Père au lieu de la répétition du signe-symptôme[51] qui est le trauma de la mort. Le sujet passe ainsi du non choix du trauma, de la mauvaise rencontre ou Tuché au choix d’accepter ou de refuser. Il devient acteur de sa propre production de réel symptomatique. L’effroi du traumatisme par la sidération est transformé. On peut envisager la désidération et sortir de l’impuissance chaotique afin de s’ouvrir à la surprise en lien avec l’ordre symbolique signifiant. L’inscription symbolique n’ayant pu être accomplie, l’inscription par l’écriture, le témoignage semble pouvoir y suppléer. Janine Altounian parlera même de métabolisation : « l’inscription de ce qui fut effacé », « la métabolisation par l’écriture » est « au fondement même de notre civilisation » Il s’agirait alors de l’écriture personnelle de la loi symbolique au niveau psychique et de l’écriture collective par les LOIS. Les œuvres sont des tentatives de contenance. Dans sa thèse, Laure Coret avance qu’il « Il s’agit en même temps pour ces auteurs de transcrire cette violence et de proposer un lieu, un espace neutralisé aux lecteurs comme aux témoins dont ils rapportent les propos. En quelque sorte, ils créent un lieu où reposer la survivance, la présence des morts, de la violence continue »[52] Laure Coret traite des « romans comme écriture de l’indicible », « L’œuvre et la violence extrême, par définition, s’opposent a priori. Systématiquement, en signant un roman, un poème, une chanson, nos auteurs s’interposent entre l’État et la communauté au nom de laquelle ils écrivent. Ils font par principe acte de résistance, réaffirmant leur humanité et la nôtre, par l’exemple, concrètement, en osant encore tenir un stylo et inventer. Ils démontrent la vanité des systèmes dictatoriaux. » [53] Il s’agit de savoir faire avec les traces qui « travaillent en sous-œuvre dans de nombreux écrits poétiques ou littéraires d’écrivains ayant à se coltiner avec le traumatisme ».[54].Cela permet de faire exister le meurtre sans y succomber : « Ce que n’a pas été consigné n’existe pas. Cette stèle est dédiée à ces victimes sans armes. »[55] L’écriture vaut comme témoignage « je n’étais pas vraiment vivant […] parcelle de la mémoire collective de notre mort […] un brin individuel du tissu impalpable de ce linceul. »[56] C’est une façon d’ensevelir les morts pour restituer l’humanité, dans un linceul de papier et de mots Au niveau conscient et préconscient on trouve une fragmentation et à un niveau inconscient les traces indélébiles dans le Réel du corps. L’écriture apparait comme une défense contre le morcellement et l’hallucination, une rencontre. Lekeuche, dans un article sur la rencontre avec le schizophrène, nous apprend que l’étymologie du verbe « rencontrer » se situe dans un contexte guerrier. « Affronter au combat ». Le choc fait donc partie de toute rencontre. La mort en est le danger. « Il y a ce préfixe « re » qui marque le retour en arrière, le retour à un état antérieur, qui marque aussi le mouvement en sens contraire qui détruit ce qui a été accompli ; enfin, « re » peut indiquer qu’il y a là de la répétition. Combat, risque de mort, répétition, décomposition, retour en arrière : le mot « rencontre » inclut tous ces ingrédients. »[57]C’est bien de la rencontre avec la mort dont il s’agit. Nous pourrions aussi renvoyer à une autre phrase de Lacan, cette fois reprise par Safouan dans son ouvrage La Parole ou la Mort, parole que le premier lui aurait dite à l’occasion d’un contrôle : « Entre deux sujets, il n’y a que la parole ou la mort. » Michel Butor nous précise que le texte vient de la mort. Il est une façon pour les morts de continuer à vivre ; il faut avoir « le courage d’affronter la mort à travers l’écriture.»[58]Ainsi la langue se substituant à l’imaginaire, permet à celui qui écrit à partir d’un traumatisme de circonscrire le réel avec des outils propres à la langue. « C’est un acte de silence dirigé contre le silence : le premier acte positif de la mort contre la mort ».[59]
L’écriture est acte de résistance. La narration nourrit le corps, et l’écriture permet aussi de se vivre psychiquement. L’écriture de l’après est en elle-même un subtil mélange de volonté testimoniale et de geste esthétique. Elle émerge d’une impossibilité de témoignage. Le champ littéraire de l’après est une écriture malgré tout. Ces œuvres sont des imag-inations (tentatives de faire image), quand il ne reste plus qu’elles comme traces. Elles donnent à imaginer la réalité qu’elles décrivent et la difficulté que leurs auteurs éprouvent à la décrire. L’essence même de leur objet rend leur genèse compliquée. Elles sont comme ces photographies des camps. Leur force tient en ce qu’elles reproduisent, non seulement l’événement historique dont elles sont l’empreinte, mais les difficultés de représentation qu’il pose. L’écriture permet de se libérer et de sortir de la fixité d’un point névrotique ou traumatique. En ce sens, on peut rapprocher l’écriture du rêve qui permet une narration dans le psychisme. Cela nous renvoie au rêve de la mère qui permet de créer un nid psychique au nourrisson, en rêvant avec lui ou pour lui. : « C’est la fonction de l’illusion portée par la mère et permettant de créer un nid psychique au nourrisson. »[60]C’est en quelque sorte une réinstauration de ces instants premiers « contenants » puisque l’écrivain va écrire avec ce qui l’a construit avant le trauma. Ce que découvre Freud dans L’interprétation des rêves, ce sont les rapports étroits existants entre les différentes productions psychiques : les mythes, les contes, la littérature ou plus globalement l’art, s’expliquent comme les rêves ou encore les symptômes, ce sont des formations de compromis, des productions qui satisfont à la fois le désir et la défense, et il s’agit donc pour lui à la fois d’en déchiffrer les énigmes grâce à sa méthode, de montrer leur parenté et d’introduire du même coup une continuité là où apparemment il y aurait rupture : continuité entre le conscient et l’inconscient, le normal et le pathologique, l’enfant et l’adulte, le civilisé et le primitif, l’individu et l’espèce, l’humain et le divin, l’ordinaire et l’extraordinaire, et plus spécifiquement ici : lien entre les différentes productions culturelles et psychiques. Le mécanisme essentiel est le refoulement. Ecrivain et poète se mesurent à ce qui est à l’état de trace. Leur enjeu est la mise en mouvement, rendre accessible ce qui est caché, enfoui, refoulé ou non symbolisé : l’écrivain rend universel ce qu’il livre de ses expériences. L’écriture voudrait lier vie et pulsion de vie en réintroduisant le temps historique. Le traumatisé se trouve prisonnier dans une figure en boucle, le passage à l’écriture permet une coupure qui rompt la figure de Escher[61], où une petite fourmi se promène sur une bande de Moebius. La fonction de l’écriture serait alors de passer de cette figure, bande de Moebius, fermée sur elle-même à une figure ouverte, trouée. Le trou est transmis, par l’écriture et permet de sauver les vestiges, la mère, de resymboliser pour transformer le chaos Quand l’auteur écrit, du point de vue cognitif il est à la fois dans le temps de l’écriture et dans le temps et lieu du récit. Ceci permet de faire coexister espace intime et espace extérieur. La narration permet de traiter le processus du temps, le sujet est alors auteur de son devenir. Il reprend le pouvoir sur le monde. L’enjeu est de mettre en mouvement, de « rendre accessible ce qui est caché, enfoui, refoulé ou non symbolisé. »[62], l’écrivain rend universel ce qu’il livre de ses expériences. Ecrire à partir du traumatisme, c’est instaurer une torsion infime, qui fait bord au Réel. Il s’agit de la figure littéraire de la métalepse : l’auteur sort de la trame narrative pour s’adresser au lecteur, ce qui permet de transgresser réalité et fiction. Cela permet d’approcher la puissance du réel, cet impossible à dire. Jorge Semprun pose le problème comme un problème moral : « ce que je ne parviens pas, par l’écriture, à pénétrer dans le présent du camp, à le raconter au présent… comme s’il y avait un interdit de la figuration du présent.. Ainsi, dans tous mes brouillons, ça commence avant, ou après, ou autour, ça ne commence jamais dans le camp.Et quand je parviens enfin à l’intérieur, quand j’y suis, l’écriture se bloque. Je suis pris d’angoisse, je retombe dans le néant, j’abandonne. »[63] Freud a exploré la méthode de l’écrivain dans son étude sur la nouvelle de W. Jensen, Le délire et les rêves dans « la gradiva »de Jensen. L’écrivain est celui qui sait sans savoir, l’écrivain place dans le monde extérieur ce qui a été effacé de la conscience. IIIC2c- Ecriture, écritures : On peut distinguer deux catégories d’écriture : l’écriture réactionnelle et l’écriture sublimatoire. L’écriture réactionnelle se rattache à « un motif extérieur, accidentel, événementiel, […] la traumatographie pour laquelle un évènement traumatique réel déclenche (..), précipite (…) ou relance (…) la venue de l’écriture ».[64]. L’évènement traumatique est un pousse à écrire, qui positionne le sujet différemment face au trauma. L’écriture se voudrait une déprise, une prise de distance dans le temps. Primo Levi indique « Si je n’avais pas vécu l’épisode d’Auschwitz, je n’aurais probablement jamais écrit. »[65] L’écriture met en relation le souvenir traumatiques avec des représentations autres, antérieures ou postérieures à l’évènement. C’est un travail de liaison qui permet de recoller les morceaux de la fragmentation traumatique, par une abréaction fondée sur une élaboration symbolique. Il instaure les mots et les silences entre les mots, modifiant les quantités d’affects entre mots et choses, ce qui a une fonction de liaison énergétique , le trauma ayant délié les pulsions. Freud parlait d’une valeur traumatolytique du travail mental d’association. Il faudra donc passer par plusieurs étapes, plusieurs couches, déjà évoquées par la mémoire feuilletée, L’exemple pris par Janine Altounian est celui de l’analyse, de la relation transférentielle où « la parole de l’analysant naît et atteint les couches enfouies en lui pour passer[66] et repasser sur les vécus traumatiques de l’enfance jusqu’à en éliminer non la présence sous-jacente mais l’emprise. » Par ailleurs, l’écriture, le sujet-écrivant, écrivain, met le social en situation de tiers. En prenant l’autre à témoin, par la publication parfois, le sujet instaure une distance entre lui et l’évènement traumatique qui rejoint l’espace public. Cela contribue à restaurer peu à peu le fantasme, Phantasieren. Peu à peu, par le travail du signifiant, le réel s’imaginarise. Le travail du moi social étant du ressort du drama, la dramatisation de soi dans l’écriture autobiographique permet la reconfiguration de notre relation avec nous-mêmes et le monde. De la tragédie, on passe au drame. L’écriture permet de dire sa vie : « il faut que je fabrique de la vie avec toute cette mort. »[67] Le choix de la forme textuelle n’est pas significatif quant au genre de la structure du sujet. En effet, dans le champ clinique, les différents discours adoptés par le sujet du symptôme témoignent de la structure. Dans le cas du trauma, il s’agit de l’accidentel. La forme choisie témoigne seulement de la valeur de la distance par rapport au réel traumatique; le témoignage et la poésie collent plus au trauma. Par exemple, dans le développement de son œuvre, Primo Levi a évolué vers une prise de distance, l’imaginaire devenant de plus en plus prégnant : « C’est par l’imaginaire que quelque chose tient encore contre la folie, l’effroi et pour la survie. Le passage à l’écriture vient nouer les catégories du Réel et de l’Imaginaire avec le Symbolique, autour de l’objet-livre à venir, en devenir, et pourtant toujours perdu. Devenir écrivain implique une érotisation e l’écriture afin de maintenir ce lien de soi à soi et de faire travailler dans la narration un possible retour du refoulé. »[68] Dans le roman de Georges Perec, W ou un souvenir d’enfance, récit autobiographique et utopie se mêlent. Cela montre que la dimension de l’horreur est liée à celle de la fiction car cela est inimaginable.Ce texte raconte comment un homme, Gaspard Winckler, doit affronter un passé qu’il croyait oublié dans les ruines de l’ile de W : c’est donc le retour du refoulé. Cette île est dédiée au sport avec des règles humiliantes assujetties à la bonne volonté des juges, avec une partie autobiographique. “Je n'ai pas de souvenirs d'enfance” : je posais cette affirmation avec assurance, avec presque une sorte de défi. L'on n'avait pas à m'interroger sur cette question. Elle n'était pas inscrite à mon programme. J'en étais dispensé : une autre histoire, la Grande, l'Histoire avec sa grande hache, avait déjà répondu à ma place : la guerre, les camps. »[69] Citons également les utopies, supposées pures imaginations, avec une solution originale : le contre-camp ! « Pour guérir le monde du camp […] il fallait créer un contre-camp »[70], et ainsi naquit le club méditerranée ! Dans le camp tout était interdit, dans le contre-camp tout serait permis, l’abondance de nourriture contre la mort de faim. L’amour et la rencontre conte la haine. Une utopie que Gilbert Trigano adopta sur une idée d’un juif belge, Gérard Blitz. Pour faire des affaires. Le tourisme de masse contre le meurtre de masse. Fulgurance, le poème est un cas particulier. Le récit par fragments témoigne que le fragment énonce et montre « l’éclatement, l’insaisissable »[71] La poésie permet de rendre compte du hors-temps qui traduit le Réel. La poésie permet au poète une distanciation qui lui permet de se réapproprier le temps des autres, le temps social. Le poème permet de traduire les paradoxes de la réalité psychique, « entre réel impensable et réalité psychique sidérée, […] car ils sont circonscrits dans ce lieu du poème, espace hautement symbolique sur la page blanche.»[72]
Arnaud Tellier, dans son ouvrage Expériences traumatiques de l’écriture, conclut que le trauma serait l’impasse de la lettre, l’évènement traumatique « ratant à être dit »[73] ; l’expérience traumatique resterait « symboligène, scriptogène ». [74]. Arnaud Tellier nous propose d’envisager l’écriture du trauma comme une solution pour trouver « le remède dans le mal (…), en grattant là où ça fait mal. » La réactivation de la douleur est témoignée par Jorge Semprun : « Je ne parvenais pas à survivre à l’écriture. […] Seul un suicide pourrait signer, mettre fin volontairement à ce travail de deuil inachevé : interminable. »[75] Georges Perec, après avoir expliqué que l’écriture était un moyen de subjectiver par leur textualisation les affects non exprimés, déclare « j’écris parce qu’ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l’écriture ».[76] IIIC2d- Ecrire, régler sa dette Ecrire permet de prendre sa place dans la succession des générations, de liquider la dette comme peut le faire une analyse, acquitter sa dette à ses ascendants. Liquider les arriérés permet de prendre lentement sa place propre dans l’ordre des générations. Rappelons brièvement que la dette symbolique est un concept Lacanien. Le fait d’appartenir au monde du langage correspond à l’inscription du petit d’homme dans une chaîne signifiante qui lui donne sa place dans la chaîne des générations. La dette relie les vivants au morts et les en sépare ; elle ordonne les liens généalogiques entre les générations L’accès à la dimension du langage est payé par le prix de la castration. Cela apparait dans la clinique de l’obsessionnel qui ne reconnait pas la dette. Cette dette apparait alors comme réelle, refus de la dimension phallique. La dimension phallique ne peut être atteinte que par la castration qui fait coupure entre le réel et le symbolique. Si cette coupure n’existe pas, l’objet sera omniprésent. Concernant la pensée totalitaire et les persécutions, on se trouve dans ce cas, la dette supposée est non liquidable, l’objet omniprésent. La dette est symbolique et impossible, elle précède le sujet tout comme l’ordre symbolique précède également le sujet. Les vivants, comme le rappelle Antigone, doivent être en règle avec les morts pour pouvoir vivre. Etre privé de dette est une exclusion du lien symbolique humain. C’est ce que les bourreaux ont délié. La dette imaginaire est délétère et intriquée à la pulsion de mort. Elle conduit à l’anéantissement car il y a recouvrement total de la dette, ou du moins tentative de recouvrement total. Elle se situe au niveau de l’indifférenciation et de la fusion, de la plénitude. Il faudra donc, en écrivant ou en témoignant, transgresser et affronter la culpabilité qui « précède et détermine l’acte, se manifeste en creux dans les actes du sujet ».[77] L’inscription se fait dans la transgression, c'est-à-dire la souffrance et le dépassement. Lacan avait prédit une montée des massacres et des génocides en nommant les nazis précurseurs d’une nouvelle forme de violence. La violence est agie mais non décrite puisque les termes sont ceux de « solution finale », « nettoyage », « traitements spéciaux ». Dans le cas du génocide, la dette symbolique est liée au sacrifice et à la mort et non au don. La perte ayant été réelle, viol, vol, meurtre, toute perte est vécue comme le retour de cette perte réelle. La dette a été payée par le sang. La dette symbolique glisserait alors vers une dette de mémoire. Nous pouvons évoquer ici brièvement la notion de culpabilité, qui est liée à celle de dette imaginaire. Le lieu où se situe la dette est l’échange, lieu de l’imaginaire du paiement de la rançon pour la venue au monde. Le sacrifice, voire le sacrifice de la vie serait une tentative de paiement de cette dette imaginaire, tentative illustrée par le prêtre ascétique (Nietzche, Généalogie de la morale). Il s’agit de rejoindre le grand tout divin. La dimension de sacrifice et d’autosacrifice qui se dégage de la violence et de la torture fait apparaitre l’étranger comme une menace car il devient comme les autres. Il est le voleur de jouissance menaçant qui rappelle le texte de Freud sur l’Inquiétante étrangeté. Le sacrifice est une protection pour la communauté, une conjuration du danger. S’appuyant sur la dette constituée par la survie, le créateur paie par sa création. Tel est le travail de Rithy Panh, cinéaste qui a réalisé S21 filmé dans une prison, lieu même de la mort. Il y pose la question de l’image et de la parole dans le témoignage ainsi que celle du témoin : Créer ou se recréer après le traumatisme génocidaire ? Son film favorise les liens sociaux et intrapsychiques. Il se situe au niveau socio-politique (reconnaissance officielle du génocide),de l’exigence de vérité. Régine Waintrater indique que le témoignage est un » processus de cocréation qui prend place entre le témoin et le témoignaire sur fond de mandat du groupe. » .
IIID-Reprendre le récit : IIID1-Prendre la parole, restaurer la parole : L’élaboration de la dette de mémoire pourrait-elle permettre l’élaboration du deuil et l’oubli via le refoulement ? Les ancêtres étant honorés, le désir pourrait-il devenir accessible aux descendants ? La castration deviendrait alors séparation entre vivants et morts. Le sujet ayant inclus le mort en lui se diviserait ainsi, en séparant vie et mort qui ne faisaient qu’un jusque là. Le traumatisme a endommagé le pacte de parole jusqu’à l’absorber. Le réel n’est plus noué au symbolique et agit de façon réelle et non métaphorique sur le réel. C’est un point d’échec de la métaphore, point d’émergence du surmoi. Comment restituer la limitation de la jouissance et donc le surmoi collectif ? Le rétablissement de la dette symbolique associée à la transmission signifiante peut rétablir le pacte. Le fantasme, précédemment occulté par la tuché peut s’inscrire en tant qu’effet de l’automaton. Les victimes de génocide ou de meurtre de masse ont été confrontées à la haine de transfert, à la Jouissance insupportable. Ce réel de la Chose ne permet pas l’avènement de l’Autre du symbolique ou ne le permet plus. Dans le processus sain, la coupure du discours rend la vérité du dire comme accessible et apprend qu’il n’y a de vérité que voilée. Pour le génocide, l’homme qui a un corps est redevenu un corps. Parole et image spéculaire sont abolies, le corps est resté pur réel durant le génocide ou au camp. Le corps de l’homme ordinaire n’est pas pur réel car une parole et une image spéculaire se sont greffées sur ce corps. Cette greffe se produit, selon Alain Didier Weill, durant le processus de nouage du refoulement originaire, antérieur au stade du miroir, qui constitue une consistance pré spéculaire. Le vêtement assure le maintien de l’image spéculaire et voile le sous-vêtement qu’est le cache-sexe. Le cache-sexe n’est pas spéculaire. Le cache-sexe apparait comme l’instauration d’une limite du pouvoir mortifère du réel. C’est la limite entre la forme humaine du vivant et l’informe du cadavre. Le refoulement originaire fait disparaitre quelque chose dans les champs du visible, de l’audible, de la matérialité du corps. Cela prépare l’image spéculaire qui apparaitra comme trouée dans le miroir. Le signifiant du Nom du Père apporte cette négativation. Le symbolique pose l’empreinte de l’invisible sur le visible, créant le beau qui le dépasse. Pour se sortir d’une situation difficile lui-même, par une sorte de « boostrap »[78], il faut un vide créatif. Il faut donc reconstituer ce « vide ». Le langage le permet. La parole permet de réélaborer, la symbolisation doit faire reculer le pouvoir de la censure absolue. Le sujet entend la parole de l’Autre et prend la parole. C’est le point de capiton entre signifiant et signifié. Le parlêtre créée un désordre définitif dans le monde ordonné du censeur. Cela signe la liberté octroyée par le symbolique. Le symbolique peut prendre en charge le réel, mais seulement en partie. Le réel de la mort auquel sont confrontés les rescapés de génocide est inconsistant et ne peut être nommé. Cela permet de cantonner à nouveau le réel à sa place, alors qu’il avait envahi les autres registres. Il s’agit d’une opération de contention du réel en cernant le trou du réel par des signifiants. Il s’agit d’affirmer le désir au détriment d’une jouissance mortifère. Le sujet, doit s’orienter à nouveau dans la parole, la censure levée. Freud oppose la révolte du peuple au censeur en trois temps logiques : A bas le censeur, cri de révolte assez insignifiant, Deuxième cri qui reprend le premier, insistance du sujet : « je dis et je répète » ; le sujet peut être sidéré, car il s’autorise de lui-même. C’est un temps d’indécision lorsque le sujet, ayant franchi la censure, ne sait pas de quelle façon il répondra à l’Autre. C’est la révolte contre l’injustice. Le troisième cri permet de trouver le chemin de la dé-sidération et du désir. Desiderare. Le désir se réalise dans la persévérance. C’est une réponse au défi que constitue le « Che vuoi ? », que veux-tu ? En passant de la forme prescriptive à la forme interrogative, le sujet accède à son propre désir qu’il ne s’autorise que de lui-même. C’est le troisième souffle qui permet de trouver la justesse symbolique, un signifiant sidérant qui ne se dédit pas, de retrouver sa propre authenticité. « par trois coups frappés à la porte – Toc ! Toc ! Toc ! – la parole annonce qu’elle a franchi le seul du silence qui règne dans les coulisses et que le sujet qu’elle représente va entrer en scène. »[79]Cela génère ou régénère le temps humain, effet du franchissement par la parole de ces trois seuils. IIID2- Le Discours : L’écriture fait appel au tiers, via le lecteur, via le social, manifestant un espace, un écart entre le scripteur et le lecteur. Premier espace inscrit de façon indirecte ou secondaire. Prendre la parole, réintroduit le Tiers absent, distanciation effective. Cela donne la parole aux morts, à ceux « dont le meurtre en masse fut une réduction au silence, redoublée, répétée, par le silence du monde. »[80] Car pour les survivants et leurs descendants, la relation à l’autre, le lien social sont minés. La cellule familiale a du mal à s’ouvrir sur l’extérieur, elle implose et la relation intra-familiale devient exclusive, quasiment incestueuse. La confiance dans l’autre n’existe pas. Le langage manifesté par le discours est l’agent du lien social ; « C’est le discours qui fait le lien social » affirme Lacan. Dans la leçon du 13 février 1973 du séminaire Encore, Lacan dit : « Il n’y a que ça, le lien social. Je le désigne du terme de discours parce qu’il n’y a pas d’autre moyen de le désigner dès qu’on s’est aperçu que le lien social ne s’instaure que de s’ancrer dans la façon dont le langage se situe et s’imprime sur ce qui grouille, à savoir l’être parlant »[81] Pour Lacan, l’inconscient ne connaît pas la coupure. C’est un continuum littéral. La langue permet la coupure. La voix peut faire coupure en présentifiant le phallus, et découper en traits unaires. Ce qui importe donc ce sont les mécanismes du langage. Le retour du langage sur ces corps grouillants accomplit une traumatolyse, subjective l’effroyable. « Dans un camp, l’une des raisons de survivre, c’est qu’on peut devenir un témoin ».[82] IIID3- Le témoin : Le témoin peut entendre et partager l’expérience insupportable, car il peut être victime, mais aussi bourreau. Le génocidaire exclut le témoin, le tiers. L’écriture permet de restaurer un témoin interne. « L’écriture, en matérialisant l’espace psychique, offre la possibilité d’incarner, soit […] de maintenir vivant, ce témoin interne représentant le regard de l’autre dont le sujet humain a besoin pour se sentir exister. »[83] Cet espace est le vide, le manque évoqué précédemment. Le témoin, testis en latin signifie celui qui se pose en tiers entre deux parties dans un procès ou litige. Le second terme est superstes, celui qui a vécu quelque chose, et peut en témoigner, cela a donné en italien superstite, le rescapé. Le récit des rescapés est donc celui du survivant, le récit du témoin testis peut établir les faits en vue d’un procès. Les deux origines latines donnent donc les deux catégories de témoignages : récits qui ne concernent pas le droit, consistance non juridique de la vérité et témoignages historiques en vue d’un procès. Dans un cas le Tiers est témoin, contenant, dans l’autre il est pénalisant. On pourrait dire que dans un cas, la fonction maternelle est impliquée, dans l’autre, la fonction Paternelle de séparation. Le témoignage du survivant tempère la fonction de contenance par l’utilisation du langage écrit ou parlé qui, en soit, est coupure. En ce sens il se distancie de son vécu qu’il élabore, perlabore. Giorgio Agamben avance que le droit pénalisant, par exemple, pour la pénalisation des crimes nazis a empêché de penser les camps, en ce sens que le problème outrepasse le droit, remettant en question le droit lui-même. La racine grecque de témoin, martis, martyr signifie se rappeler. Nous partirons de la racine grecque, du témoin qui se rappelle pour ensuite nous intéresser aux racines latines et à l’expression du droit, via le testis. Pours se rappeler ; Il faut créer des situations, des dispositifs, employer des méthodes qui le permettent. Le cinéaste et auteur Rithy Panh indique qu’il ne « fabrique pas l’évènement. Je créée des situations pour […] les survivants puissent dire ce qu’ils ont subi. »[84] C’est une situation, un dispositif qui permet de témoigner et par là même d’élaborer, même de façon embryonnaire. Par le Tiers symbolique, l’imaginaire se décolle du Réel et reprend sa place. Une image se constitue qui permet de symboliser le deuil. C’est un retour vers la construction imaginaire de l’enfant qui se constitue et se reconnait dans le miroir. C’est la rencontre ou les retrouvailles avec l’altérité et le langage symbolique. Pour Lacan il s’agit du stade du miroir, pour Freud, du refoulement originaire. Le témoin est à la fois celui qui parle de ce qu’il a vu, vécu ou entendu et celui qui recueille son témoignage. Régine Waintrater a conduit une étude, Sortir du génocide, témoignage et survivance, [85]qui rend compte de ce que les témoins de la catastrophe absolue peuvent transmettre, réinstituant par là-même un pacte social, par le nouage du pacte avec l’auditeur. On pointe la difficulté entre récit et écoute. Le dialogue est difficile et le monologue ne produit pas ses effets ; La nécessité du tiers est capitale. C’est une nécessité structurelle car comme nous l’indiquent les deux auteurs psychanalystes, Simone Molina et Hélène Piralian il s’agit de recréer des signifiants collectifs du génocide innommable : « à la fois parce qu’il est dénié (génocide arménien) et aussi parce qu’il n’y a pas de mots pour dire ça ».[86] La réintroduction du Tiers que constitue la levée du déni permet de séparer le couple bourreau-victime et de revenir au stade du miroir. En Arménie, les étrangers qui étaient sur place et qui ont vu sont frappés de menace. Menace de mort. « Il est d’une importance capitale que les étrangers qui circulent par là soient convaincus que cette déportation ne se fait que dans un but de changement de séjour. […]Je recommande à ce propos d’arrêter les personnes qui donnent des nouvelles ou qui font des enquêtes et de les livrer, sous d’autres prétextes, aux cours martiales.»[87] « L’important était qu’ils ne pussent raconter ».[88] Par ailleurs, l’écoulement du temps induit une disparition des témoins, des souvenirs qui deviennent flous. Le « devoir de mémoire » semble donc s’imposer. Nous devons faire un détour théorique. Dans la théorie Lacanienne, on peut rajouter qu’il est nécessaire de passer par l’inscription au champ de l’Autre pour créer des signifiants. C’est la condition obligée pour que la parole soit dite et entendue mais aussi accueillie et recueillie. Le corps présent de l’autre en devient le garant. Un autre qui ne soit pas l’exterminateur. Le témoignage est donc les paroles dites à un autre assorties de la croyance que cet autre a confiance en la véracité de la parole recueillie. Cette difficulté est pointée par Primo Levi, qui constituait le rêve d’une non-écoute de sa famille et par Jorge Semprun qui raconte la difficulté à témoigner aux gens « normaux » ; certains sont angoissés par le récit de la vérité du camp, d’autres ne peuvent supporter le récit. « Pour mon malheur, ou du moins ma malchance, je ne trouvais que deux sortes d’attitudes chez les gens du dehors. Les uns évitaient de vous questionner, vous traitaient comme si vous reveniez d’un banal voyage à l’étranger. Vous voilà donc de retour ! Mais c’est qu’ils craignaient les réponses, avaient horreur de l’inconfort moral qu’elles auraient pu leur apporter. Les autres posaient des tas de questions superficielles, stupides –dans le genre : c’était dur, hein ? -, mais si on leur répondait, même succinctement, au plus vrai, au plus profond, opaque, indicible, de l’expérience vécue, ils devenaient muets, s’inquiétaient, agitaient les mains, invoquaient n’importe quelle divinité tutélaire pour en rester là. Et ils tombaient dans le silence, comme on tombe dans le vide, un trou noir, un rêve. »[89] Ce trou noir, ce vide évoque la mort. L’autre doit accepter d’entendre parler de la Mort sans se confondre avec elle. Hélène Piralian[90] va plus loin encore, en exposant la division nécessaire entre la mort symbolisable à garder « des morts à enterrer et de la destruction à métaboliser ». Il s’agit de diviser la mort. Cela ne peut advenir que par un véritable deuil qui induit une mort réelle et une symbolisation qui garder le souvenir et la mémoire. « Parler est difficile.» [91]A leur retour les survivants ont du faire face à l’indifférence du monde. Piera Aulagnier [92]rappelle que, pour vivre, l’être humain a besoin de croire que le monde n’est pas indifférent à sa disparition, que son existence a un sens. L’Autre comme lieu des signifiants a été détruit. L’insistance du déni, dans le cas du génocide arménien induit la croyance que l’Autre a été définitivement détruit, par l’agresseur tout-puissant. Les signifiants collectifs ne circulent plus dans le champ social de cette communauté, « coagulé autour de la destruction réelle et dans l’attente d’une réparation, attente qui n’est qu’un autre visage du suspens du champ symbolique lui-même ».[93] Primo Levi indique que les témoins « ne furent presque jamais écoutés ni crus. Les vérités qui dérangent rencontrent un chemin difficile ».[94] D’ailleurs, leurs tortionnaires eux-mêmes prophétisaient l’incrédulité à venir. Primo Levi rapporte ce qu’un survivant, Simon Wiesenthal en dit dans son livre Les assassins sont parmi nous, « de quelque façon que cette guerre finisse, nous l’avons déjà gagnée contre vous […] même si quelques-uns en réchappaient, le monde ne les croira pas […] et même s’il devait subsister quelques preuves, les gens diront que les faits que vous racontez sont trop monstrueux pour être crus […] ils nous croiront, nous qui nierons tout, et pas vous. »[95] Par ailleurs, le bourreau prend soin de cacher ce qu’il fait, par le langage, par le secret : « Pour garder le secret, entre autres précautions, on recourait dans le langage officiel à de prudents et cyniques euphémismes : au lieu « d’extermination »on écrivait « solution définitive », au lieu de « déportation » « transfert », au lieu de « mort par gaz », «traitement spécial » et ainsi de suite. […] Mais à cause de leur énormité même, les horreurs du Lager, maintes fois dénoncées par les radios alliées, se heurtèrent le plus souvent à l’incrédulité générale. »[96] Nous nous situons donc au croisement de l’Histoire et de l’histoire du sujet. Tout d’abord, il convient de distinguer histoire et passé. Lacan nous signifie que : « L’histoire « n’est pas le passé. L’histoire est le passé pour autant qu’il est historisé dans le présent- parce qu’il a été vécu dans le passé. Le chemin de la restitution de l’histoire du sujet prend la forme d’une recherche de la restitution du passé »[97]. Il s’agirait de restituer aux sujets d’aujourd’hui ce qui a été mal inscrit dans le passé en procédant à une réinscription et à une réparation, tout en se défaisant des inscriptions paradoxales et en rétablissant l’axe du temps et les filiations, et donc la loi symbolique. « Lorsque l’Histoire concerne de façon traumatique mais inconsciente un Sujet, il y est tout entier assujetti. Pour un descendant de ceux et celles qui sont restés dans le silence, faire histoire procède alors de la mise à distance d’un objet intériorisé, le trauma parental.[…] Son rapport au monde, sa capacité d’invention et de création dépendent de son rapport à l’objet comme perdu.[…] tout se passe comme si le rapport à l’objet en tant qu’il est perdu à jamais était perverti par cette présence non-dite et opaque du trauma parental. »[98] Il faudra l’instauration par un tiers-père du « j’ai vécu l’indicible » en un « « je dis que tu as vécu cela » afin de pouvoir se vivre enfant d’un parent non mutilé et donc non mutilant. »[99] Ceci permet de réinstaurer le sujet « je » qui s’était amalgamé à son autre meurtrier, négateur de l’Histoire.L’histoire est ce qui relie les survivants à la temporalité (descendance) et à l’espace (déportation, dispersion). IIID4- De la tragédie au drame : Il y a une « trace qui est un symptôme à transformer en trace de transmission.»[100] Ce qui se transmet en cas de génocide est la force identifiante du discours parental et du discours social. Ce qui se transmet prioritairement ce sont les objets marqués par le négatif : Les objets comme la honte, les objets endeuillés, ce qui ne se contient pas. « La faute, la culpabilité, les comptes mal réglés et non élaborés, les identifications pathologiques sont les fantômes de la nuit qui viennent malmener enfants et parents à leur insu, par le jeu d’interactions perturbées par les fantasmes transgénérationnels. Traiter ces difficultés, c’est reprendre le récit abandonné, la mythologie familiale, retrouver les sens et les affects perdus, permettre qu’à nouveau surgisse la représentation, redonner le droit de rêver. C’est un peu comme redonner voix aux messages de la nuit pour mieux reléguer au Tartare ses forces de désordre en construisant des mythes.[101]» Le corps se nourrit d’une narration. Ce qu’ont voulu détruire les génocidaires, plus qu’un peuple, c’est l’humanité de l’homme qui rêve. Le trauma a une dimension tragique. Rappelons-nous que la tragédie grecque représente des personnages en proie à un destin malheureux. L’origine du mot remonterait, selon certaines interprétations à celui du « chant du bouc », ce qui nous renvoie à la notion de sacrifice et de lutte perdue d’avance, attaque du réel et perte de toute position symbolique. Restituer le passage du tragique au dramatique, .permettrait le rétablissement d’un lien entre l’expérience traumatique et les mythes humains, en permettant de dépasser le rapport duel enfermant. Les mythes étant proches des fantasmes originaires, cela contribuerait à établir une reconstruction du fantasme. La tragédie évoque la confrontation de l’homme avec les dieux. Si la tragédie est nouée avec une catastrophe dans l’Histoire, les effets s’en montrent dans la culpabilité inconsciente des descendants de ceux qui l’ont vécue. Simone Molina, dans Archives incandescentes cite les travaux de Suzanne Ginestet Delbreil indiquant que le trauma se présente comme la « répétition de traumas plus anciens que l’on peut repérer dans les générations antérieures. L’effet de sommation[102] noté par Freud se joue sur plusieurs générations. »[103] Cela renvoie aux Atrides, que Lacan citera dans son séminaire, Ethique de la psychanalyse. Rappelons brièvement la mythologie grecque. Les Atrides, descendants d’Atrée sont maudits par les dieux car leur maison a été fondée dans le meurtre, le parricide, l’infanticide, l’inceste. Le cycle de la violence est sans fin. Seul le jugement d’Oreste, par le premier tribunal criminel de la cité d’Athènes, y mettra un terme. L es rapports dyadiques sont conflictuels et problématiques et demandent à être réparés. La réparation des dyades se fait alors par la médiation du symbolique : c’est dans le cadre des lois et des conventions humaines que seront reliées l’imaginaire et le réel (la volonté de Zeus en faveur d’Oreste), le réel et le symbolique (la bienveillance des nouvelles lois envers Oreste), l’imaginaire et le symbolique (la nouvelle institution de l’Aréopage attribuée à Athéna).Cela exprime le passage d’une prééminence symbolique de la mère et de la loi du sang à celle du père et d’une loi plus humaine, que le nouveau droit avalisera, à la fin du cycle de L’Orestie, avec la constitution de l’Aréopage. On s’aperçoit qu’Oreste ne délimite pas un interdit, mais un arbitraire, et qu’à son contact tout le devient : oracles, jugements, droit, cités, hommes. Il semble un cumulateur de l’impensé, de l’indéterminé de tout un ordre cosmique installé depuis longtemps. Ce sujet, exilé dans l’indéterminé, se situe hors de toute symbolisation, de l’écriture et du langage. Par opposition, auront à se définir le monde et le langage. C’est ce qui se passe dans le cas de l’extermination de masse. De la tragédie, le glissement au drame permet de restaurer le mythe. Nous avons parlé du mythe du bourreau qui prétendrait s’imposer à sa victime, abolissant son inscription dans l’humanité. Pour Freud, le mythe serait une mise en scène du fantasme ; [104]Pour Alain Bidou, le mythe se soutiendrait de deux trames, une trame historique s’appuyant sur l’histoire d’un groupe, sur sa matérialité, comme tel serait ici le cas, et une trame issue des mythes universels. Les mythes universels sont les mythes originaires. Le mythe permet de résister à la déshumanisation qui voudrait faire du génocide une origine. « Ils ont voulu faire de nous des bêtes en nous faisant vivre dans des conditions que personne […] ne pourra jamais imaginer. Mais ils ne réussiront pas. Parce que nous savons d’où nous venons et pourquoi nous sommes ici. »[105] IIIE- Ritualiser Le face à face avec le meurtrier écrase chez ses victimes la temporalité et l’espace du discours chez ses victimes. L’élaboration de la position dépressive et du deuil permet de restituer la flèche du temps. Pour les survivants de génocide, la vie a été transmise sans repère symbolique, il s’agit de revenir au moment de la création du temps : Dans la croyance religieuse, Dieu existe de toute éternité et créée un jour le temps. Notre construction interne se fait par l’identification par moments à la mère, le rythme de la présence absence qui crée le temps. Nous avons donc connu l’expérience de l’union océanique sans limite d’avant le temps. Il s’agit de passer au monde de la parole et de rependre le temps qui sinon est en panne comme pour l’autiste. Cela s’accomplit par la scansion du rite, et des rites. Ils séparent le monde humain du monde animal. Durkeim les considère comme éléments du sacré ; les éthologues, dont Konrad Lorenz ont étudié le rite comme la forme donnée par une culture pour circonscrire les effets de l’agressivité. La psychanalyse assimile les rites à des systèmes de défense collectifs. Ceci nous ramène au génocide, à la restitution du mythe. Le rite serait-il le cœur du mythe ? IIIE1- Rite, deuil : C’est ce que propose Bernard Guitier dans son article « Trauma originaire et répétition, le rite sacré.» [106] Si nous reprenons le mythe Freudien, Freud indique que le meurtre est réel. Si on se resitue aux fondements préhistoriques de l’humanité, le langage n’est pas présent et le meurtre serait alors sa condition d’apparition. Jusqu’au meurtre, la horde est inhumaine ; Le meurtre créateur de l’humanité fonde l’aptitude « à la nomination de l’absence. Il est aussi traumatisme originaire de l’humanité. »[107]. Il devient inoubliable car refoulé et devient aussi le non-dit de l’autre. L’Oedipe, selon cet auteur, viendrait donner de la force au meurtre primitif comme traumatisme secondaire. Le trauma pourrait alors se réparer par deux façons : par le rite ou par l’interdit sous la forme de la Loi .En cas de génocide, le meurtre s’est appliqué, non au Père primitif, mais à des sujets arbitrairement désignés ; Les mêmes mécanismes « réparateurs » vont alors s’appliquer ou tenter de s’appliquer : le rite par les commémorations, les témoignages, la Loi, par l’inscription dans les Lois. Le rite, dans ce cas serait une mise en scène thérapeutique réussie et non une isolation de la représentation (comme dans la névrose obsessionnelle). Le génocide serait aussi une représentation collective, ayant quasiment valeur d’archétype en tant qu’évènement fondateur traumatique et collectif. Dans notre première partie, nous avions évoqué le travail de Paul Racamier relatant les rites mortuaires de passages bantous. En cas de génocide, le rite élaborateur, permettant de construire l’absence-présence du mort, ayant fait défaut, des suppléances sont observables. Ce sont les Mémoriaux, tel qu’au Rwanda ou pour la Shoah. Au Rwanda, les cadavres ont été déterrés, mis dans une église, exposés, en attente de deuilleurs. Les deuilleurs endossant alors, peut être, la fonction des pleureuses, visiteurs qui permettent aux morts d’occuper la place de morts et d’ancêtres, laissant la vie aux vivants. Faute de cadavre, la sépulture peut être aussi symbolique, citons le mémorial virtuel arménien qui permet de visiter le mémorial érigé à Erevan, de déposer des fleurs et d’allumer une bougie virtuelle. [108] Il s’agit d’accomplir le travail de deuil, même si le corps a disparu. Cela permet de construire une image interne de l’autre, image qui constitue aussi l’image du sujet survivant. Cela permet de rendre l’absence pensable, et en cela nous rappelons la construction spéculaire du sujet, stade du miroir Lacanien et fort-da Freudien. C’est un ré accès à la subjectivité, à la fois pour le corps du mort et pour le survivant. Un autre aspect est la prise en charge par des tiers au niveau de la représentation. Henri Rey Flaud dans son ouvrage, L’éloge du rien, [109] insiste sur les « professionnelles de la douleur » ayant pour fonction « de prendre en charge, sous forme de démonstrations ostentatoires, les manifestations dramatiques fixées par la convention qui doivent sanctionner la disparition d’un être cher. » Il s’agit d’un phénomène d’identification hystérique. Les manifestations représentatives de la douleur sont virées au compte de la communauté, le sujet peut alors se concentrer sur le travail de deuil . Le deuil est impartageable et la communauté peut partager « la forme pure de la douleur, la virtualité de la souffrance, désignée comme la virtualité du désir, par le signifiant du manque, ф.»[110] Lacan reprend cette notion : vivre un deuil pose le problème de la représentation, l’objet perdu étant d’autant plus absolu qu’il ne correspond à plus rien qui soit. Cela fait appel à l’ordre symbolique mais aussi à l’impuissance de cet ordre à couvrir complètement le réel, d’où la mise en place des formations imaginaires. Pour Lacan la logique de coupure du signifiant se répète et se repère dans le passage du zéro au un par l’identification à du vide, à du non-identique à soi-même ; le signifiant ne pouvant se signifier lui-même, cela constitue l’altérité. Le sujet s’articule alors à l’objet « a » qui vient à la place du non-identique à soi-même. Ceci renvoie au trait unaire. Hors, le réel de l’absence est un trait qui caractérise l’humain. Lacan l’appelle, « l’un en moins ». Il convient de le restituer comme renvoyant à un temps mythique, un temps d’avant l’aliénation par le signifiant ou bien le temps d’avant la castration. Ceci est avant la division du sujet, division qui se manifeste de deux façons : soit par l’impossible à dire du symptôme, soit par la symbolisation qui a pour fonction de circonscrire le réel, notamment par la création. Ensevelir les morts au plan symbolique de l’écriture et de la loi restitue le sacré et la succession des générations. Si nous rappelons l’Histoire d’Œdipe, de Polynice et d’Antigone, l’accomplissement du rite funéraire permet de faire de la mort un état ultime, universel, qui échappe à l’irrationnel. Terminer le travail de deuil après un génocide semble être le vrai enjeu. De façon plus générale, la capacité au deuil semble la capacité fondamentale du sujet sain.
IIIF-Transmettre. Traumatolyse IIIF1- Faire avec les restes : « En Anatolie, les arméniens qui ont voulu rester sur leurs terres ancestrales ont été convertis de force, islamisés et sont nommés « les restes de l’épée »[112]. La déshumanisation marque la perte des identifications, c’est aussi la perte du nom. La littérature, en traitant de l’individu, défie le processus d’anonymat auquel le camp ou le génocide réduit. Primo Levi nous en cite un exemple, il s’agit de donner le nom et le prénom à celui qui n’est devenu qu’un numéro, cela permet de nommer l’humanité de Kraus Pali et de l’inscrire dans la suite des générations, dans une lignée. Paul Thibaud dans sa préface sur le Rapport secret sur les massacres d’Arménie, [113] insiste sur la nomination, « tous ces morts sans sépulture, purement et simplement rendus aux éléments sans qu’il reste d’eux aucun signe, dévorés par les chiens, précipités dans l’Euphrate, il faut qu’ils soient sinon nommés, du moins particularisés. ».L’acharnement commémoratif ou informatif des survivants et descendants de survivants semble une tentative de créer une sorte d’état civil. La transmission du nom et le nom soutiennent les repères généalogiques sinon « Les référents internes s’effondrent, faut de répondants externes »[114]. Robert Antelme, dans son ouvrage, L’espèce Humaine, témoigne qu’il a besoin de la reconnaissance des autres pour s’identifier. Cela indique, en ce qui concerne le nom, la place de l’autre, « pour nommer mais aussi pour se nommer, il faut donc, toujours être deux » (Maurice Blanchot). La nomination permet de réintégrer le symbolique en sortant de l’indifférencié. Le père est porteur de la transmission. Cette fonction de nom propre ne se réduit pas au patronyme, mais elle « cible » et « indexe l’ex-sistence d’une identité » subjective « unique », nous dit encore Colette Soler. Ce nom advient du trou de l’inconscient que creuse la parole depuis le refoulement originaire Mais il est important de ne pas perdre de vue que ce nouage qu’opère la nomination est indissociable du lien social. Car le nom, comme effet et acte de nomination, de plus, doit être entériné pour être et opérer. En cela la fonction nommante est créatrice. Elle fait évènement et produit des effets dans le réel. « Le trou recrache le nom », dit Lacan. Ainsi énonce-t-il, dans une conférence sur le symptôme, donnée à Genève en 1975 : « Forclusion du Nom du Père, ça nous entraîne à un autre étage, l’étage où ce n’est pas seulement le Nom-du-Père, où c’est aussi le Père-du-Nom. Je veux dire que le père, c’est celui qui nomme. » C’est-à-dire que ce qui compte pour un sujet, ce n'est pas que le père ait été là ou pas dans la réalité mais que le sujet ait acquis ou non la dimension du Nom-du-Père. Le Nom-du-Père (NDP) devient un instrument logique qui assure que la langue tienne, qu'elle soit capitonnée. Il est un principe qui ordonne et oriente la vie d'un sujet.La nomination par le père « instaure le trou de l’impossible. »[115] Lacan, dans la théorie des nœuds borroméens, parlera d’un quatrième cercle dessiné sous la forme de la fonction du père ; puis, les nouages des Noms du père, et enfin la fonction de nommer : ce qui boucle, ce qui est nommé. Faute de quoi, le sujet, échappant à l’emprise du signe, est en défaut d’inscription. Un acte de création permettant que du symbolique surgisse le réel est une acte de nomination où une part du réel est informée par le symbolique. Lacan prendra l’exemple de la Genèse. La lumière se trouvera, dans l’après-coup, nommée Jour. Ceci est détaillé par Didier-Weill, dans son ouvrage les Trois temps de la loi[116]. Cet auteur décomposera en trois temps logiques l’avènement du réel indivisible qui constitue le sujet : Un réel d’abîme qui n’adviendra jamais au symbolique. Ainsi naît le trou du refoulé originaire, identifié par la topologie borroméenne de Lacan. Le symbolique ne peut le faire disparaître puisque le symbolique s’origine lui-même dans ce trou. La seule possibilité est de border ce trou « enchaîner ce trou sans fonds et sans bords de l’abîme en le transmutant en un trou fondé et bordé qu’est le fiat trou borroméen. »[117] De la fondation de ce trou va dépendre le destin psychique du sujet, forclusion structurante (névrose) ou forclusion pathogène (psychose).-un réel de ténèbres attendant de sortir de l’abîme par la nomination par la loi symbolique. C’est une loi mal-dite, une malédiction originelle.-un réel a nuit qui advient au symbolique et produit de l’automaton.
IIIG -La Loi : Récit et création littéraire ou plastique témoignage, ont une fonction restauratrice et réinstituante pour le sujet. Ecrire et produire une œuvre littéraire aurait-il la même fonction que la sanction juridique ? La récente inscription juridique (1945) du crime contre l’humanité permet –elle de se protéger ou induit-elle un refoulement ? Cela exclura-t-il les bourreaux de l’humanité ? Cela permettra-t-il de contenir l’horreur ? Cette interrogation traverse notre actualité, car si le génocide nazi s’est passé en Europe et que l’on ne finit pas de déterrer, au sens propre du terme, la barbarie qui a eu lieu,-ce que Hannah Arendt a nommé la « banalité du mal »-, poursuit son œuvre, l’humain portant en lui la barbarie que la civilisation contient difficilement. Freud dans L’homme Moïse écrivait déjà : « Nous vivons un temps particulièrement curieux. Nous découvrons avec surprise que le progrès a conclu un pacte avec la barbarie ». Ce qui pose, face aux génocides, le problème des fondements de la loi. Le psychanalyste Gérard Miller, dans un article récent dans Nouvelles d’Arménie intitulé comment réagir face à ça ?, s’en exprime :[118]. « Je crois qu’il faut maintenir le génocide turc contre les Arméniens comme un des plus douloureux symptômes de notre civilisation et ne surtout pas essayer d’en atténuer les angles. [….] lorsque ce génocide sera enfin reconnu, il faudra encore s’interroger sur le si douloureux accouchement de sa reconnaissance.[…] au moment des débats aux Sénat. Le conseil constitutionnel a ensuite refusé d’entériner la loi, exemple qui nous permet de situer les fondements de la loi au regard du génocide.»[119] IIG1- Fondements : Quels sont donc les fondements de la loi de façon générale ? Et de façon plus spécifique au regard du génocide ? Dans Au-delà du principe de plaisir, Freud indique que les foules obéissent comme un seul homme. Cela indique la possibilité à la régression du surmoi, ainsi que la question des identifications face au leader et à son emprise, il s’agit de l’abolition de la conscience morale, de l’esprit critique, de la pensée individuelle, liés à l’Œdipe et au narcissisme. Le tyran, devenu le père de la horde primitive, père vivant, à la différence du père de la horde père mort, transmettrait alors le pouvoir Divin. La loi du plus fort devient la loi. L’abandon de la responsabilité personnelle signe la soumission à l’autorité. Le sujet qui devient bourreau génocidaire a abandonné son individualité pour devenir une partie, un rouage d’une société hiérarchisée ; cela lui permet d’assouvir ses pulsions agressives et sadiques, sa toute-puissance. Cela remet en question le Surmoi Freudien, héritier du complexe d’Œdipe, garant des interdictions fondamentales de l’inceste et du parricide. Cela interroge le refoulement, le complexe de castration, l’espace, la nécessité à symboliser, et à entrer dans le champ du langage. La remise en question du Surmoi et de ses effets. Ils sont constitutifs de la civilisation puisque Freud indique que « l’humanité ne vit pas que dans le présent : le passé, la tradition de la race et du peuple persistent dans les idéologies du surmoi ». Cela renvoie au mythe fondateur Freudien, le parricide, les refoulements qui s’en sont suivis : « une série infiniment longue de générations de meurtriers qui, comme nous peut-être, avaient la passion du meurtre dans le sang. »[120] A la différence du meurtre fondateur Freudien, l’extermination vise l’humanité et la transmission dans le groupe visé. .Le meurtre génocidaire va plus loin que le meurtre fondamental fondateur Freudien, car il concerne l’ascendance mais aussi l’infanticide, le matricide, le parenticide. Le code pénal napoléonien considérait que le pire des crimes était le parricide. Le parricide ne figure plus dans le code pénal français qui s’ouvre désormais sur le crime contre l’humanité, crime des crimes. Le but de l’humanité est de survivre et se reproduire, le but de chaque groupe humain également. Pour ce faire, il convient d’instituer des lois qui limitent et encadrent les pulsions, posent les interdits du meurtre et de l’inceste. « Les rapports d’institution permettent d’humaniser, de métaboliser, les enjeux d’inceste à l’échelle d’une société. »[121] La fonction juridique noue le biologique, le social et l’inconscient. Le nœud du droit et de la psychanalyse permet de différencier l’humanité des autres espèces par ses caractères biologiques mais aussi parce qu’elle parle. La société, fonctionnant comme un sujet, tient un discours par les montages juridiques Les systèmes juridiques et généalogiques formulent des règles aux fondements logiques, qui sont discours sur la vérité et la division fondatrice. Lacan dira que le parlêtre est parlé par le discours des institutions. L’interdit de l’inceste est posé via les lois car présidant à la reproduction de la vie dans notre espèce. Le génocide dénie cela puisque c’est une extermination programmée. IIIG2- Le droit : Le droit peut faire limite entre l’humain et l’inhumain ; « Le droit aborde les questions « folles », tout comme la psychanalyse »[122]. Raison et droit permettent de se séparer d’avec l’Autre. Sinon il y a « casse » du sujet. Dans « Pourquoi la guerre ? » 1933, [123] Freud, s’adressant à Einstein rappelle que le Droit s’est développé à partir de la violence. On retrouve ici la thèse de Totem et Tabou, en 1913. Au titre social et collectif, la horde se fondait primitivement sur la force musculaire, les outils ; La supériorité intellectuelle supplantant peu à peu la force musculaire brute. Le droit étant la force de la communauté, la violence de la communauté s’installera au lieu de la violence individuelle. Plus tard, Freud approfondira et prolongera les réflexions que nous trouvons dans « Ephémère Destinée».dans le Texte, Pourquoi la guerre ?[124] Le mot Kultur, traduit par civilisation dans Malaise dans la civilisation ne permet pas de distinguer culture et civilisation. La civilisation s’oppose à la barbarie et représente les institutions mises en place par les humains pour se protéger contre la nature et réglementer les rapports sociaux. Civiliser est faire passer une collectivité d’un état primitif à un état plus évolué et cultiver est une action développée en vue d’en obtenir un produit. Rappelons que les commandements : « tu ne tueras pas », « aimes ton prochain comme toi-même » conduisent au renoncement qui permet la vie en commun et les idéaux collectifs. « L’horreur dans la civilisation surgit lorsque les valeurs et les lois qui la régissent sont bafoués. « Tu tueras » proclame le chef des armées, « Exècres ton prochain » pour n’aimer que toi et ceux qui te ressemblent exige le leader. » [125]La situation mise à feu et à sang créée un envers ; le crime remplace le commandement moral et le crime organisé est la loi. La justice des hommes n’existe plus. Pierre Legendre, dans L’inestimable objet de la transmission, nous indique que les fondements ultimes du droit se rapportent à l’inceste ; Raison et Droit tournant autour de la fonction de limite, de séparation. En ce sens, le droit « fait partie des mécanismes intimes du vivant, car il commande l’apparition du sujet du désir, à travers l’instauration des grandes catégories de légalité qui instituent en chaque société la subjectivité. »[126] Freud affirmera que la guerre peut être évitée si c’est au pouvoir central à qui on transfère tous les conflits d’intérêt. Le droit ne peut se passer du soutien de la violence, la cohésion de la communauté vient de la contrainte par la violence et par identification. Le droit est le droit de la raison, qui s’oppose à la loi du plus fort. La capture juridique permet de civiliser les pulsions et passe par la parole. C’est le droit de l’Etat souverain qui seul peut exercer une violence légitime. Le juridique représente la Loi symbolique qui instaure l’humain-parlant. C’est le fondement du droit. . « le juridique devrait représenter la Loi symbolique qui instaure l’humain-parlant, contrevient à ses fondements même du fait de la mise en place de lois scélérates qui prônent et légitiment l’exclusion. »[127] Par le biais des institutions, il s’agit de fabriquer un homme nouveau, c'est-à-dire une image. Les génocidaires se réclament aussi d’épurer la race humaine pour l’avènement d’un ordre et d’un homme nouveau, « délires sociaux meurtriers ».[128] C’est une façon perverse d’élaborer le meurtre du père décrit par le mythe Freudien de Totem et Tabou. La transmission est alors impossible. IIIG3- La loi scélérate : Le camp ou le génocide sont en dehors du système pénal normal dont les détenus sont sélectionnés en dehors de la procédure judiciaire ordinaire. Ceci laisse libre champ aux abus totalitaires : « qu’un tel effondrement de la loi ait pu être mis au service d’une industrie de mort productrice de déchets est la nouveauté de notre siècle ; Auschwitz n’a-t-il pas été qualifié par les nazis d’ « anus du monde ? » [129] Les faits de génocide mettent en place des « lois scélérates qui prônent et légitiment l’exclusion »[130] voire l’extermination. « Il s’y ajoute l’action modératrice exercée par la loi, et par le sens moral qui opère comme une loi intérieure ; on s’accorde en effet à reconnaître qu’un pays est d’autant plus évolué que les lois qui empêchent le misérable d’être trop misérable et le puissant trop puissant y sont plus sages et plus efficaces , […] Mais au Lager il en va tout autrement ; ici, la lutte pour la vie est implacable car chacun est désespérément et férocement seul. »[131] Ainsi, par le juridique on peut repérer le discours du hors la loi qui est « la loi existe pour moi, si je veux ! » Nous reconnaissons là le discours du tortionnaire, du génocidaire, instituant ce que le philosophe Agamben appellera l’homo sacer, [132]Il est défini par le droit romain comme celui qu’on peut tuer sans être accusé d’homicide et il est mis au banc de la société. L’homo sacer est mis hors de l’interdit du meurtre et donc tuable en tant que Zoe. Cette personne ne dispose d’aucun droit civique. Privé des lois de la cité, il est hors la loi. C’est bien le statut de la victime en cas d’extermination massive et de violence totalitaire. Cela rejoint l’analyse d’Hannah Arendt : « les droits de l’homme qui, philosophiquement n’avaient jamais été établis mais seulement formulés, qui, politiquement n’avaient jamais été garantis mais seulement proclamés, ont, sous leur forme traditionnelle, perdu toute validité. »[133] IIG4- Le tiers absent : Le sujet, comme l’étudie Hannah Arendt, est mis à mal du fait de la disparition de la tiercéité. « Le régime totalitaire a fait éclater l’alternative même sur laquelle reposaient toutes les définitions de l’essence des régimes dans la philosophie politique : l’alternative entre régime sans lois et régime soumis à des lois, entre pouvoir légitime et pouvoir arbitraire. […] Avec le régime totalitaire, nous sommes en présence d’un genre de régime totalement différent. Il brave, c’est vrai, toutes les lois positives […] Mais il n’opère jamais sans avoir la loi pour guide et il n’est pas non plus arbitraire, car il prétend obéir rigoureusement et sans équivoque à ces lois de la Nature et de l’Histoire dont toutes les lois positives ont toujours été censées sortir.»[134] Arendt cite Cicéron et le consensus juris [135]qui constitue un peuple et qu’évince le régime totalitaire. Ce dernier « ne remplace pas un corpus de lois par un autre, il ne crée pas, à la faveur d’une seule révolution, une nouvelle forme de légalité. Son défi à toutes les lois positives, y compris les siennes propres, implique qu’il pense pouvoir se passer de tout consensus juris ». Ce dernier ne désigne-t-il pas cette tiercéité que veut s’assimiler le système totalitaire ? Le philosophe italien Giorgio Agamben avance qu’il s’agit de bio politique. Le pouvoir veut intervenir dans la vie biologique des individus (zoe). Pour lui, le camp est l’espace biopolitique absolu. Il oppose Zoé (vie nue) au bios (vie). Agamben remarquera qu’avant l’introduction de Zoé dans la sphère de la Polis, c'est-à-dire avant la modernité, le souverain était le seul, l’exception, qui avait pouvoir sur la vie nue. La Zoé appartenant au médecin et à l’état, cela peut permettre la dérive totalitaire. Ainsi espace politique et espace de la vie peuvent coïncider, et la position d’exception occupée jadis par le souverain est généralisée, donc perdue. C’est L’état d’exception voulu - terme adopté par les juristes du national socialisme afin de désigner l’état d’exception qu’ils avaient décrété afin de suspendre les libertés personnelles. Rappelons, dans le cas nazi, la constitution de Weimar décrétant en février 1933 cet état d’exception se confondant avec la norme. En mars 1934, l’ouverture du premier camp à Dachau est placée en dehors du droit pénal et du droit carcéral, donc indépendamment de tout contrôle judiciaire. Le camp est extérieur à l’ordre juridique normal, mais capturé dans l’ordre juridique en tant qu’exception, ce qui induit une collusion. L’état d’exception qui devrait se fonder sur une situation de fait devient le produit d’une décision souveraine. On ne peut plus distinguer état de droit et état de fait. « Du point de vue juridique, on peut considérer l'ensemble du IIIe Reich comme un état d'exception qui dura douze ans. En ce sens, on peut définir le totalitarisme moderne comme l'instauration, à travers l'état d'exception, d'une guerre civile légale qui permet l'élimination non seulement des adversaires politiques, mais aussi de catégories entières de la population qui semblent ne pas pouvoir être intégrées au système politique ».[136] Le juridique fait barrage entre nous et la référence absolue, entre chacun de nous et le lieu mythique dont procède le discours délirant contrôlé. Le droit permet de faire écran afin de fabriquer la Raison en rendant le mythe social viable. Ainsi, le corps souverain permet de passer du Sexe ou Phallus absolu, reflet de l’Image absolue, au fétiche légalisé. En cas de génocide, le discours est délirant et hors contrôle, hors juridique. La bureaucratisation du meurtre hitlérienne, la lutte contre l’hybridation, le discours industriel de l’extermination de masse ignore le manque- le manque étant signe d’humanité, marque de différenciation. Le sujet humain y a statut de bien, et non statut de personne juridique. Le père absolu est mis en scène à l’échelle du système juridique et social, par la capture politique de la référence absolue ; les régimes autoritaires incarnent l’objet référence. Rappelons que Pierre Legendre définit l’état comme le tiers absolu. Cependant, le père et l’objet père ne peuvent être que symboliques. Le père représente une représentation. Par le génocide, la prise directe avec la référence absolue conduit à la psychose et a des effets de meurtre sur le sujet ; meurtre effectif, meurtre psychique. .Ce sont les ancêtres qui font passer le culte de la référence par leur représentation dans la société. C’est une fiction fondatrice. La généalogie mettra ensuite en ordre en classant et en indiquant les places. L’ignorance se signe par le déni du réel ; La soif de vérité de l’un répondant à l’ignorance de l’autre, en place de Père Réel. Par l’inscription dans la loi, il prend place de père Imaginaire. Le système juridique fonctionne sur fond de refoulement et se manifeste dans la subjectivité. Le corps est symbole, preuve d’identité. Le droit funéraire fait entrer le corps dans la catégorie des choses comme objet absolu. Mettant à distance « des animaux et des plantes, etc, le sujet humain situe le lien de dette à un très haut niveau d’abstraction »[137]. Nous pourrons dire niveau symbolique. La notion de dette est inséparable du corps. Dans le système occidental, la loi, le pacte de l’interdit de meurtre et d’inceste fonde la vie humaine et la transmission symbolique de la dette. Cela s’inscrit dans le juridique. La transmission symbolique, en cas de génocide n’étant pas possible, nous pouvons donc dire que le génocide subvertit le système de filiation, fondateur du système juridique du monde occidental. Les catégories juridiques de la filiation sont en prise directe sur l’inconscient et permettent l’entrée du sujet dans l’univers symbolique. Le totem, qui est la représentation pure règne comme ancêtre absolu. En cas de génocide, au lieu de fonder les sujets décimés à la loi, le totem abolit la loi. Le sujet nait et s’institue à partir de l’ancêtre et du père. Le peuple victime de génocide est un ensemble de sujets, pour les survivants, sans ancêtre et sans père. Les morts ne peuvent constituer société, ils ne sont pas inscrits. Dès lors, la fonction paternelle n’existe pas. Le discours génocidaire, et le discours nazi essentiellement ou le discours rapporté par Rithy Panh s’appuient sur la science. La science qui fascine et terrorise peut avoir valeur de pouvoir supposé absolu. Ce pouvoir est mis à distance par le pouvoir juridique en projetant dans l’espace social le principe d’altérité, de division, la représentation d’un Autre absolu. « Le juriste est un spécialiste de la mise à distance ». [138] En ce qui concerne la généalogie, il spécifie à chacun son dû par le principe de la dissymétrie. Le dispositif juridique institue la subjectivité et introduit le sujet du désir afin de l’introduire à l’impératif de la différenciation. Le génocide signe le meurtre de la personne juridique. Les victimes subissent une sélection arbitraire pour des crimes supposés et non qualifiés à l’avance. Au niveau collectif, ceci induit le meurtre de la personne morale, entité juridique qui touche le plus souvent un groupe, titulaire de droits et d’obligations. Notamment un nom, un patrimoine, un domicile : ces attributs sont anéantis par le totalitarisme génocidaire. Ces attributs qui permettent d’agir en justice (ester), d’acquérir des biens. Le lien institutionnel est l’œuvre de la généalogie, qui assigne le sujet dans l’espèce ; cela met en rapport biologique, social, inconscient afin de produire « artificiellement le nouage de ces trois indices humains »[139] dit Pierre Legendre. Lorsqu’un homme a été confronté à la négation de son existence, comment peut-il tenir une place de père pour son enfant ? Cela pose le problème du nouage entre la Loi symbolique et le juridique. Les lois scélérates qui ont conduit à l’exclusion ou au génocide contreviennent au juridique car elles légitiment l’exclusion. Comment s’inscrire dans la filiation quand le père a été sorti de son statut d’humain ? Freud, dans Totem et Tabou signale que le « père mort devient plus fort qu’il ne l’avait jamais été de son vivant », comment survivre alors quand les parents ou grands-parents ont été victimes d’un génocide ? Le génocide Cambodgien a mis ces points en évidence, SOKO Phay-Vakalis explique ces mécanismes : « Durant les quatre années du régime totalitaire, il y eut différentes déportations imposées à l’intérieur même des provinces,[…]. Ces êtres contraints à l’exode sont davantage touchés par la désintégration psychologique et sociale. Les liens étant rompus, les individus isolés sont rendus plus vulnérables et, par voie de conséquence, plus passifs et soumis à la terreur des Khmers rouges. De même l’assassinat et la disparition des proches déclenchent des sentiments d’abandon et de désespoir chez des personnes démunies devant déjà survivre à la famine et au travail harassant.[…] Outre la désintégration sociale, l’idéologie khmère rouge n’a eu de cesse de vouloir briser le lien intergénérationnel ou de ruiner tout sentiment filial, causant ainsi de nombreuses séquelles psychiques. L’Angkar veut jusqu’à se substituer aux parents naturels vis-à-vis d’une jeunesse docile et malléable. La subversion de l’ordre social se traduit aussi par la transformation des enfants en chlop chargés d’espionner leur propre famille. »[140] IIIG5- Justice d’exception : L’impunité fait exemple. Yves Ternon, dans son ouvrage La cause arménienne, [141] affirme que « le génocide juif a eu lieu parce que Hitler a profité du laxisme est de la lâcheté des grandes puissances en tablant sur l’impunité. Hitler, s'adressant à ses chefs militaires, le 22 septembre 1939 à Obraisberg, leur enjoignait de frapper vite et fort la population polonaise en utilisant la comparaison suivante: "J'ai donné ordre aux unités spéciales de la SS d'aller en Pologne y tuer sans pitié hommes, femmes et enfants. Pourquoi? Qui donc se souvient encore aujourd'hui de l'extermination des arméniens?". Comme nous avons pu le voir précédemment, le génocide abolit le symbolique qui permet de faire coupure. C’est alors le génocide qui fait fonction de coupure. Par le droit et la pénalisation, il convient d’instaurer une coupure autre, instance tierce qui permet, par un nouage artificiel, le forçage entre biologique, social, inconscient. C’est un refondement de la Loi qui permet de sortir du réel et refonder du symbolique. « on peut mesure […] combien l’efficience ou la défaillance, dans le champ politique, des instances tierces internationales récemment mises en place peuvent étayer ou compromettre la croyance nécessaire à postuler l’existence du tiers et, de ce fait, à désinvestir la relation duelle mortifère aux meurtriers. »[142] Les criminels de droit commun relèvent d’un jugement pénal mais une justice d’exception est requise pour les conflits guerriers où les auteurs agissent en service commandé. La référence est fondéepar la convention internationale de la Haye en 1907 sur les lois et coutumes de guerre. Une juridiction internationale et la notion d’imprescribilité ont été créées afin de pouvoir considérer responsabilités collectives et individuelles. Le terme de génocide sera adopté en 1945. Cela a assis la notion de « justice universelle », (Professeur Jorda, Président du Tribunal Pénal international), dimension autrefois dévolue aux religions. IIIG6- Crime contre l’humanité et génocide : Il y a crime contre l’humanité. Cette catégorie a été créée suite aux crimes nazis. « Crime contre l'humanité. 8 août 1945 : selon l'article 6 du Statut du Tribunal Militaire International de Nüremberg les crimes contre l'humanité sont "l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne des pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du tribunal, ou en liaison avec ce crime". En allemand : "Verbrechen gegen die Menschlichkeit" (crime contre la compassion humaine : la "litote du siècle", dira Hannah Arendt). Pour l’historien Yves Ternon : « Le crime contre l'humanité est "un crime international de droit commun par lequel un État se rend coupable d'atteinte à la liberté, aux droits et à la vie d'une personne ou d'un groupe de personnes innocentes de toute infraction au droit commun"[143].» Ce qui décrit le génocide. Le procès Ducht, pour les khmers rouges est à cet égard éclairant. Citons la récente condamnation à perpétuité de Ducht, criminel Khmer dépeint par Riky Panh dans son livre L’élimination et son film S21 .[144] Le crime semble inédit ; les témoins occidentaux, européens, américains ont transcrit la nature particulière du crime, ce qui sera les prémices de la définition du concept de génocide. Le consul américain à Kharpout, Leslie David, dans un télégramme à son ambassade daté du 24 juillet 1915.s’en exprime : « Je ne crois pas qu’il y ait jamais eu dans l’histoire du monde un massacre aussi général et aussi radical que celui qui est perpétré en ce moment dans cette région, ni qu’un plan plus affreux et plus diabolique ait jamais été conçu par l’esprit de l’homme. »[145] La création puis l’évolution de la définition du terme « génocide » témoignent la nécessité d’une précision accrue de la loi afin de permettre la pénalisation. Les termes de génocide et de crime contre l’humanité ont émergé après les faits dans le corpus juridique. « Génocide. Selon le Petit Robert : 1944. Du grec genos, origine, espèce; latin caedere, tuer. Destruction méthodique d'un groupe ethnique. Par extension, extermination d'un groupe important de personnes en peu de temps. Le 9 décembre 1948, selon la Convention adoptée par les Nations Unies : "crime commis dans l'intention de détruire en tout ou partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux". Ce mot fut créé par Raphaël Lemkin en 1944 pour définir les pratiques de guerre de l'Allemagne nazie, dans son livre Axis Rule in occupied Europe. Le mot désigne la "destruction d'une nation ou d'un groupe ethnique", ou plutôt le "plan coordonné de différentes actions visant à détruire les fondements essentiels de la vie des groupes nationaux, pour anéantir ces groupes eux-mêmes". "Le génocide est dirigé contre le groupe national en tant qu'entité, et les actions qu'il entraîne sont menées contre des individus, non en raison de leurs qualités individuelles, mais parce qu'ils sont membres du groupe national". Ces deux termes ne sont pas nettement différenciés ; cependant c’est le débat sur leur définition qui a permis de refus récent du conseil constitutionnel concernant le génocide arménien. L’enjeu de la qualification de génocide constitue l’objet le plus vif dans les controverses. La pression des usages politiques du passé atteint ici son niveau maximum et bouscule ce qui devrait être l’apport le plus clair du recours à l’ordre de la justice, à savoir la priorité accordée à la vérité. Les historiens des Arméniens font souvent de cette reconnaissance juridique et judiciaire un préalable absolu à toute discussion scientifique, les historiens officiels turcs la contestent absolument, et les historiens extérieurs prennent leur distance avec une situation qui suscite tant d’affrontements, entrave objectivement la recherche et les expose individuellement. IIIG7-Levée de déni Si, comme le clame le cinéaste Rithy Panh : « La justice n’est pas un spectacle. Nous avons besoin qu’elle nous démontre le plus sereinement possible les actes et responsabilités de chacun, d’imaginer un processus qui nous rende une écriture juste de l’histoire. Le procès doit permettre de faire le deuil et de retrouver notre dignité. Il est essentiel de ne pas voler ce procès aux Cambodgiens. Sinon, nous aurons tous perdu à jamais notre confiance dans la civilisation, notre foi en l’homme. Le génocide cambodgien n’est pas un problème khméro-khmer, cela concerne l’humanité ». Comme en ont témoigné des reportages à la télévision, le procès Douch a permis aux victimes de s’exprimer grâce au travail d’enquête de la Cour pénale internationale. Le procès Eichmann, décrit par Hannah Arendt marqua un tournant, en 1961. Très médiatisé, il permit aux témoins de raconter leurs souffrances. Ce fut la deuxième génération qui commença à s’intéresser à l’histoire de leurs parents. Ce n’est qu’en 2000 qu’on a pu s’intéresser aux survivants. Ce processus est « en panne » concernant le génocide arménien. « A partir de là on peut aussi comprendre que la négation d’un génocide ne puisse être considérée comme une simple opinion mais est véritablement un acte qui vient directement poursuivre l’acte génocidaire sur les descendants de ceux qui furent exterminés. Il n’est donc pas possible de séparer la reconnaissance d’un génocide de la pénalisation de sa négation. […] Il n’en reste pas moins que la reconnaissance essentielle serait celle de la Turquie. Par ailleurs il est important de ne pas perdre de vue que si les héritiers des victimes du génocides des Arméniens perpétré par le gouvernement des jeunes turcs en 1915, demandent et attendent cette reconnaissance, elle n’est pas moins importante pour le peuple de Turquie qui, lui, subit également les effets de la violence liée à ce déni.»[146] Levée de déni difficile, atermoiements, pourquoi ? Quels sont les processus impliqués ? Précédemment nous avons vu que le déni est un moyen archaïque de défense. C’est ce qui constitue le négationnisme d’état. « Le négationnisme n’est pas une opinion. D’où la nécessité de la loi Gayssot, que beaucoup d’intellectuels insoupçonnables ont pourtant combattue. » Nous sommes contre cette loi, m’expliquaient par exemple certains historiens, parce que nous devons pouvoir étudier Auschwitz avec la même sérénité, la même liberté d’esprit que n’importe quel autre sujet «. En effet, la loi anti-négationniste fut l’effet d’affects parfaitement incompatibles avec la sérénité ! Elle circonscrivait au contraire un espace incandescent, martelant ce rappel à l’ordre : la proximité des crimes nazis, leur monstruosité inédite, leur ampleur, leur actualité aussi, définissent pour notre société un insupportable, et cet insupportable, oui, pour tous, intellectuels compris, fait limite. Il en est de même pour le génocide turc contre les Arméniens. Comment voulez-vous que celui qui le nie puisse participer à un lien social démocratique ? Cela met en péril la possibilité même que j’ai de parler avec mon semblable. »[147] Cela est à l’instar de la loi humanisante qui se construit progressivement pour le petit enfant. A l’identique, le processus de pénalisation international et d’humanisation.est long : La loi humanisant l’homme intervient par a-coups discontinus dans la construction du sujet. Pourquoi toute cette agitation médiatique autour d’un passé révolu ? La négation du génocide maintient au présent le meurtre génocidaire qui se poursuit auprès de ses descendants tant qu’il n’a pas été reconnu par le pays responsable et/ou par les Tiers. Si nous reprenons l’exemple exposé en première partie, La reconnaissance par le Parlement Européen en juin 1987 du génocide arménien marque les effets du déni sur la communauté concernée. Et l’insistance des descendants à faire établir la reconnaissance et la pénalisation des faits. L’inscription, la reconnaissance par les instances Pénales, les commissions du droit de l’homme, l’Onu, le parlement européen visent à amener le génocidaire, dans le cas arménien, la Turquie, à reconnaitre lui-même le génocide. Cela permettrait véritablement le deuil. Car nul ne peut naître ni faire le deuil d’un inexistant. Balisée par quelques dates, l’actualité proche nous interpelle. Le Sénat, à la suite de l'Assemblée nationale, vient de voter la loi qui pénalise « la contestation ou la minimisation outrancière d’un génocide ».Le conseil constitutionnel a rejeté ce vote. En 2001 le génocide était reconnu par la France. Les discussions engagées lors du vote de la loi Gayssot en 1990 ont resurgi, liant la question historique à la question mémorielle. La contestation de cette loi a entrainé un appel pour « la liberté pour l’histoire ». La loi Gayssot vise le déni de négationnisme, qui est une forme d’antisémitisme. Cela a permis au « comité de vigilance sur les usages publics de l’histoire »(CVUH) d’émerger, afin de défendre l’autonomie de la recherche. Le processus est long et avance par paliers, comme l’indique l’exemple qui suit : La loi du 29 janvier 2011 stipule que la France reconnait publiquement le génocide arménien de 1915. Avant même la Shoah, ce fait historique avait été reconnu par un document diplomatique international où le terme de « crime contre l’humanité » a été employé pour la première fois. Il s’agit d’un document commun aux ministres des Affaires étrangères d’Angleterre, de France et de Russie. La loi adoptée en 2006 par l’Assemblée Nationale visant à pénaliser la contestation de ce génocide a été rejetée. Rappelons que la Turquie s’oppose à l’accès aux archives. Une décision-cadre du 20 avril 2007 adoptée par le Conseil des ministres européens de la Justice sur la lutte contre le racisme et la xénophobie prétend étendre dans le droit interne des Etats les sanctions pénales à la négation du crime contre l’humanité. La loi a été lacérée « Notre image, dont on dit qu’elle est à la ressemblance de Dieu, a été brisée dans le camp, le mystère de la filiation a été piétiné, la Loi, sans laquelle aucune société ne saurait survivre, a été lacérée. »[148] L’instance tierce, garante de la loi, permet de dénoncer le déni. Cela permet de soutenir et constituer un espace symbolique où les corps des morts peuvent être déposés. Les survivants et leur descendance sont ainsi libérés. La reconnaissance est inscrite dans l’histoire collective de l’humanité. Les sujets singuliers peuvent écrire et se réapproprier leur histoire personnelle. En réinscrivant la personne juridique, la loi et la protection par la loi, la personne morale est également instituée. Les Lois et la Loi forment limite. Ceci met en évidence la fonction contenante de la loi, et sa fonction de réinscription du sujet dans l’humanité et le social, sa réinsertion dans les chaînes des générations. Les lois sont des énoncés, des textes par lesquels l’interdit circonscrit l’impossible. Réparer et restaurer ont valeur symbolique et valeur de réinscription car elles relient ce qui a été délié. « porter en soi un trésor terrifiant » (Altounian), exige un travail de transformation, de métaphorisation ; Cela permet de reprendre le travail de culture, dépasser l’intransmissible, transmettre sans reproduire la violence.
Partant du texte Ephémérité de Freud, le mélancolique, éternel endeuillé nous a conduits à l’étude des mécanismes du deuil et des fondements du sujet. Le processus génocidaire induit un deuil impossible à finir, les victimes étant gelées dans un temps traumatique sidérant, où les morts, en défaut de sépulture, sont incorporés. C’est une atteinte aux processus symboliques et aux fondements symboliques même de l’individu et de la communauté. Ceci produit un anéantissement généralisé, une atteinte à la filiation. Nous avons examiné ce qui, dans la structure du sujet permet d’exécuter ces abus sanguinaires et ce qui permet aussi de se reconstruire. Sortir de la phase première du deuil, se remettre en mouvement permet de recréer la ligne du temps et de terminer le deuil. Pour ce faire, il faut symboliser les absents et l’absence, ce qui conduit à régresser et refaire le parcours symbolisant parcouru par l’infans qui se détache de sa mère. Cela s’accompagne par l’inscription de la limite, limite qu’il faut alors notifier soit au titre individuel par la coupure du langage, soit au titre collectif par des lois pénalisantes. Les manifestations en sont le témoignage oral ou écrit, le récit, mais aussi l’expression artistique. La limite qui a été transgressée et qui a mis à bas le mythe fondateur de la société tel que Freud l’a imaginé- -ainsi que ses institutions, doit être reposée par des pénalisations exécutées par des tribunaux pénaux internationaux. Ainsi, la restitution de la limite, la levée du déni permet la reconstruction et la réidentification, l’ensevelissement des morts tant au titre individuel et collectif. Ces aspects sont émergeants dans l’œuvre de Freud, En 1920, dans Au-delà du principe de plaisir il a constaté la tendance de certains névrosés de guerre à revivre le traumatisme. Il a ainsi découvert la compulsion de répétition et le principe de réalité. L’évènement traumatique, générateur de fortes tension fait retour, le patient est fixé. C’est ce que nous avons vu dans le traumatisme post-génocidaire. Dans Malaise dans la culture, en 1929, Freud a démontré que le combat éternel entre Eros et Thanatos a déterminé les fondements de la culture humaine et la formation du surmoi. Le surmoi se manifestant ensuite par la détermination de la limite et de la loi. Nous avons pris des exemples historiques, plus ou moins récents pour illustrer notre étude ; cela reste aujourd’hui d’une triste actualité[149] Jeanine Altounian rapproche ceux qui marchaient dans les déserts d’Anatolie (arméniens déportés) de ceux qui marchent sur les routes d’Afghanistan, dans une collusion qui « désagrège le sujet naissant ». Pour Gérard Haddad comme pour d’autres chercheurs, les camps « avaient imprimé sur le monde actuel une profonde empreinte dont nous ne prenons pas la mesure. Le Camp est une pièce maîtresse de l’inconscient de l’homme actuel ».[150]. Si « Se pencher sur l’histoire permet d’entendre l’actuel. »[151], nous pouvons former le vœu que ces abus génocidaires soient limités par la pénalisation internationale. Si nous reprenons les paroles de Lacan,« Ce en quoi « l’inconscient, c’est la politique » ( Le Séminaire Livre XIV, leçon du 10 mai 1967 ), nous pouvons exprimer beaucoup d’inquiétude quant à l’éradication du mal, « L’essentiel, […] c’est l’expérience du Mal.[152] Certes, on peut la faire partout, cette expérience… Nul besoin des camps, de concentration pour connaître le Mal. Mais ici, elle aura été cruciale, et massive, elle aura tout envahi, tout dévoré… C’est l’expérience du Mal radical… »[153] en espérant que le travail accompli fasse progresser son éradication. Quel sens actuel donner au travail d’analyse, d’écriture, d’inscription dans la loi chez les « héritiers des traumatismes passés », alors même qu’il s’en produit et s’en prépare actuellement d’autres ? Laissons place à la vision plus optimiste de George Semprun : « il n’y a pas des espèces humaines, il y a une espèce humaine. C’est parce qu’ils auront tenté de mettre en cause l’unité de cette espèce qu’ils seront finalement écrasés (les SS).[…] il peut tuer un homme, mais il ne peut pas le changer en autre chose. »[154]. A la libération du camp, il choisit l’amnésie délibérée pour survivre. Il rompra le silence des années plus tard, en 1963 avec un premier récit. Cet auteur, qui a reçu plusieurs distinctions littéraire s’est éteint à l’âge de 87 ans, à la différence d’autres victimes, dont Primo Levi. Nous pouvons parier qu’il a eu la capacité de terminer le deuil. Nous pouvons également citer un contemporain, Gérard Chaliand, descendant des survivants du génocide Arménien, , qui a écrit plusieurs ouvrages de stratégie et d’analyse avant de publier en 2003 (à l’âge de 69 ans) sur le poids de la tragédie, en relatant histoire familiale et collective. Son père étant un arménien rescapé du génocide. Nous lui laisserons le dernier mot, dans un trait d’espérance qui condense les éléments que nous avons présentés dans notre travail : « Pourtant ce monde meurtrier n’est pas que cruel ou dément. Il est aussi amour, chants et rires, danse, allégresse d’exister ; Regard sur la beauté, plaisir et création. »[155] [1] http://www.netarmenie.com/culture/poesie/varouj.php [2] HADDAD Ibid, p 174 [3] BETTHELHEIM Bruno, La forteresse vide, Ed Gallimard, Paris 1969, Coll connaissance de l’inconscient [4] HADDAD Ibid, p 188 [5] FREUD Anna, L’enfant dans la psychanalyse, traduction, Gallimard, Paris 1976, pages 110 à 160. [6] Trait unaire : Concept introduit par J.Lacan, à partir de S. Freud pour désigner le signifiant sous sa forme élémentaire et pour rendre compte de l’identification symbolique du sujet » Dictionnaire Chemana [7] CYRULNIK Boris, Je me souviens, ed L’esprit du temps, coll textes essentiels, 2009 [8] HADDAD Ibid, p 281 [9]BAYARD, Pierre, Peut-on appliquer la littérature à la psychanalyse ? Minuit, Paradoxe, 2004. [10] HADDAD Gérard, Lumière des astres éteints, la psychanalyse face aux camps, Grasset, 2011, p15 [11] MAZERAN V., OLINDO-WEBER S., Pour une théorie du sujet limite, l’originaire et le trauma, L’harmattan, Paris, 1994 [12] SEMPRUN, Jorge, L’Ecriture ou la vie, Paris, Gallimard, NRF, 1994, p 138 [13] COLLECTIF Avis de recherche, une anthologie de la poésie arménienne moderne, ed Parenthèses, Marseille, 2006, p 149 [14] ANTELME Robert, L’espèce humaine, Gallimard, 1996, p 89 [15] FREUD S ; La création littéraire et le rêve éveillé, 1908, http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html [16] APPELFELD Aharon, Histoire d’une vie, Editions de l’Olivier, Le seuil, 2004 [17] ANTELME Robert, L’espèce humaine, Gallimard, 1996, p 80 [18] MELTZER (D.) et WILLIAMS (M.), 1988, L’appréhension de la beauté. Le conflit esthétique. Son rôle dans le développement psychique, la violence, l’art, tr. fr., Larmor-Plage, Editions du Hublot,. [19] HADDAD Gérard, Lumière des astres éteints, la psychanalyse face aux camps, Grasset, 2011, page 51 [20] ANTELME Robert, L’espèce humaine, Gallimard, 1996, p 60 [21] SEMPRUN, Jorge, L’Ecriture ou la vie, Paris, Gallimard, NRF, 1994, p 240 [22] Ibid p 26 [23] Voir annexes schéma R [24] HADDAD Gérard, Lumière des astres éteints, la psychanalyse face aux camps, Grasset, 2011, p 107 [25] Ibid [26] Ibid, page 128 [27] LACAN J., l’expérience psychanalytique. Communication faite au XVIe Congrès international de psychanalyse, à Zurich le 17-07-1949. Première version parue dans la Revue Française de Psychanalyse 1949, volume 13, n° 4. [28] Ibid, p 160
[29]
DAMSA Christian dans FREYMANN Jean-Richard (sous la direction de)
Clinique de la déshumanisation, [30] LEVI Primo, Les naufragés et les rescapés. Quarante an après Auschwitz, Paris, Gallimard, 1989 , p 139 [31] Référence à Heidegger Mit-sein-zum-Tode [32] SEMPRUN, Jorge, L’Ecriture ou la vie, Paris, Gallimard, NRF, 1994, p 99 [33] Ibid. p 189 [34] LEVI Primo, Si c’est un homme, Julliard, Paris 1987, p 114
[35]
FARMER Mylène, Clip souviens-toi du jour, d’après Primo LEVI,
si c’est un homme, [36] LEBRUN Jean-Pierre, , « Malaise dans la subjectivation », in Jean-Pierre Lebrun , Les Désarrois nouveaux du sujet érès « Point Hors Ligne », 2005 p. 13-101. [37] MOLINA Simone, Archives incandescentes, Ecrire entre la psychanalyse, l’histoire et la politique, Coll Che Vuoi ? L’Harmattan, Paris, 2011, p 50 [38] COLLECTIF Avis de recherche, une anthologie de la poésie arménienne moderne, Ed Parenthèses, Marseille, 2006 p 69 [39] Bios : la vie en opposition à zoe, simple fait de vivre. Bios vie propre à un individu ou groupe. [40] Georges Didi-Huberman est un philosophe et un historien de l'art français, Il enseigne à l’École des hautes études en sciences sociales où il est maître de conférences depuis 1990, DIDI-HUBERMAN, Georges, L’Image survivante : histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, éditions de Minuit, Paradoxe, 2002 [41] Le mot perlaboration est un néologisme inventé pour traduire le terme allemand : Durcharbeitung (Travail "à travers").Il désigne une élaboration fondant le travail psychanalytique et visant la suppression du symptôme névrotique. [42] CHEMANA R. VANDERMERSCH B., Dictionnaire de la psychanalyse, Larousse, Paris, 2002, p 309 [43] La notion d'énaction est une façon de concevoir l'esprit qui met l'accent sur la manière dont les organismes et esprits humains s'organisent eux-mêmes en intéraction avec l'environnement. [44] Lettre du 8 octobre 1915, Alep, signée par quatre professeurs de l’école Réale allemande, adressé au ministère des affaires étrangères d’Allemagne à Berlin. [45] Altounian [46]FREYMANN Jean-Richard (sous la direction de) Clinique de la déshumanisation, Arcanes, Ed. Erès, Toulouse, 2011, p 249 [47] SEMPRUN, Jorge, L’Ecriture ou la vie, Paris, Gallimard, NRF, 1994, p 257 [48] ALTOUNIAN Janine, L’intraduisible, deuil, mémoire, transmission, DUNOD, 2005, p XVII [49] ALTOUNIAN Janine, « De l'élaboration d'un héritage traumatique »,Cliniques méditerranéennes, 2008/2 n° 78, p. 7-22. DOI : 10.3917/cm.078.0007 [50] Ibid [51] Le signe représente quelque chose pour quelqu’un, soit la confrontation à sa propre mort chez le névrosé traumatique. Le signe peut s’incarner dans une image ou une succession d’images, une odeur, un bruit, une pensée, [52] CORET Laure, » Traumatismes collectifs et écriture de l’indicible : les romans de la réhumanisation (Afrique noire francophone, Amérique latine, Antilles) / Laure Coret ; sous la direction de Pierre Bayard et de Tiphaine Samoyault 2007. Thèse Littérature Générale et Comparée de l’Université de Paris 8 Vincennes-Saint Denis [53] Ibid. p 9 [54] STORA B, dans MOLINA Simone, Archives incandescentes, Ecrire entre la psychanalyse, l’histoire et la politique, Coll Che Vuoi ? L’Harmattan, Paris, 2011, p 37 [55] CHALIAND Gérard, Mémoire de ma mémoire, Julliard, Paris, 2003, p 97 [56] SEMPRUN, Jorge, L’Ecriture ou la vie, Paris, Gallimard, NRF, 1994, p 131 [57] LEKEUCHE Philippe « Avec le schizophrène : la rencontre par excellence », Cliniques méditerranéennes 2/2011 (n° 84), p. 169-183. [58] SEMPRUN, Jorge, L’Ecriture ou la vie, Paris, Gallimard, NRF, 1994, p251 [59] JABES Edmond, cité dans MOLINA Simone, Archives incandescentes. P 65 [60] MOLINA Simone, Archives incandescentes, Ecrire entre la psychanalyse, l’histoire et la politique, Coll Che Vuoi ? L’Harmattan, Paris, 2011, p 60
[61]
Escher : artiste
néerlandais, connu pour ses
gravures sur bois,
lithographies et
mezzotinto, qui représentent
des constructions impossibles, l'exploration de l'infini, et des
combinaisons de motifs qui se transforment graduellement en des formes
totalement différentes. Son œuvre représente des espaces paradoxaux qui
défient nos modes habituels de représentation.
[62] MOLINA Simone, Archives incandescentes, Ecrire entre la psychanalyse, l’histoire et la politique, Coll Che Vuoi ? L’Harmattan, Paris, 2011, p 67 [63] SEMPRUN, Jorge, L’Ecriture ou la vie, Paris, Gallimard, NRF, 1994, p 176 [64] TELLIER Arnaud, Expériences traumatiques et écriture, Antropos, 1998 [65] LEVI Primo, Si c’est un homme, Julliard, Paris 1987, p 83P 264 [66] ALTOUNIAN Jeanine, L'intraduisible - Deuil, mémoire, transmission Dunod, 2005, p XII [67] SEMPRUN, Jorge, L’Ecriture ou la vie, Paris, Gallimard, NRF, 1994, p 174 [68] MOLINA Simone, Archives incandescentes, Ecrire entre la psychanalyse, l’histoire et la politique, Coll Che Vuoi ? L’Harmattan, Paris, 2011, p 75 [69] PEREC Georges, W ou le souvenir d’enfance, Denoêl, Paris, 1975 [70] HADDAD Gérard, Lumière des astres éteints, la psychanalyse face aux camps, Grasset, 2011, p 40 [71]MOLINA Simone, Archives incandescentes, Ecrire entre la psychanalyse, l’histoire et la politique, Coll Che Vuoi ? L’Harmattan, Paris, 2011, p61 [72] Ibid, p 62 [73] TELLIER p 89 [74] Ibid [75] SEMPRUN, Jorge, L’Ecriture ou la vie, Paris, Gallimard, NRF, 1994,p 204 [76]PEREC G. W ou le souvenir d’enfance Denoël 1975 [77] MOLINA Simone, Archives incandescentes, Ecrire entre la psychanalyse, l’histoire et la politique, Coll Che Vuoi ? L’Harmattan, Paris, 2011, p 108 [78] Référence aux aventures du baron de Münchhausen qui s’est sorti d’un marécage en tirant sur ses bottes afin de se propulser dans les airs. [79] -WEILL Alain, Les trois temps de la loi, La couleur des idées, Seuil, 1995, p 111 [80] ALTOUNIAN Janine, La survivance, traduire le trauma collectif, DUNOD 2000 , p 29 [81] LACAN J., Séminaire Encore, leçon du 13 février 1973, Editions du Seuil, Paris, 1975, page 51 [82] AGAMBEN Giorgio, Ce qui reste d’Auschwitz, Rivages, Paris, 1999, p 15 [83] CHIANTARETTO, cité dans Altounian, l’intraduisible, p 51 [84] RITHY PANH, « L’élimination », Grasset, janvier 2012, p 19 [85] WAINTRATER Régine, Sortir du génocide, témoignage et survivance, Petite bibliothèque Payot, Paris, 2011 [86] ALTOUNIAN Janine, La survivance, traduire le trauma collectif, DUNOD 2000 , p 23 [87] Télégramme de Talaat Pacha à la préfecture d’Alep, 18 nov 1915 [88] LEVI Ibid, page 14 [89] SEMPRUN, Jorge, L’Ecriture ou la vie, op. cit., pp. 145-146. [90] PIRALIAN Hélène, Génocide et transmission, Collection Santé, société et cultures, L’Harmattan, Paris, 1994, p 24 [91] RITHY PANH, « L’élimination », Grasset, janvier 2012, p16 [92] AULAGNIER Piera, Les destins du plaisir. Aliénation, amour, passion, Paris, puf.cité dans Waintrater Régine, « Des Lumières à l'obscurité... » Robert Antelme et Jean Améry,deux itinéraires,Topique, 2005/3 no 92, p. 95-110.DOI : 10.3917/top.092.0095 P 4 [93] Ibid, p 25 [94] LEVI Primo, Les naufragés et les rescapés. Quarante an après Auschwitz, Paris, Gallimard, 1989 , p 156 [95] Ibid, p 11 [96] LEVI Primo « Si c’est un homme », Julliard, 1987, 238 [97]LACAN J., Le séminaire livre I, les écrits techniques de Freud, Seuil, Paris, 1975 page 19 [98] MOLINA Simone, Archives incandescentes, Ecrire entre la psychanalyse, l’histoire et la politique, Coll Che Vuoi ? L’Harmattan, Paris, 2011, p 134 [99] ALTOUNIAN Janine, La survivance, traduire le trauma collectif, DUNOD 2000 , p 48 [100] MOLINA Simone, Archives incandescentes, Ecrire entre la psychanalyse, l’histoire et la politique, Coll Che Vuoi ? L’Harmattan, Paris, 2011, p 86 [101] LE RUN J.L., « La nuit et ses enfants. Imaginaire de la nuit dans la mythologie grecque », Enfance &psy, « La Nuit », n °0,p. 19-24. [102] Dans l’introduction à la psychanalyse, Freud parle de sommation par fixation de la libido et évènement traumatique, les traumas successifs se surajoutent dans une économie quantitative. [103] GINESTET-DELBREIL Suzanne, la terreur de penser, Editions Diabase, 2002, cité dans Simone Molina, archives incandescentes, page 128 [104] Pour Lacan, le fantasme est essentiellement de nature langagière. Freud élaborera le fantasme à partir de sa clinique, comme effet du désir archaïque et matrice des désirs actuels. Certains fantasme deviennent accessible par la cure, d’autres restent sous l’emprise du refoulement originaire. L’article « un enfant est battu » en est une illustration. Les fantasmes originaires concernent l’origine du sujet, sa conception, l’origine de sa sexualité, de la différence de sexes. [105] ANTELME Robert, L’espèce humaine, Gallimard, 1996, p 213 [106] GUITER Bernard, « Trauma originaire et répétition : le rite sacré », Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, 2004/1 no 42, p. 173-184. DOI : 10.3917/rppg.042.0173 [107] Ibid, page 183 [108] http://www.noyantour.com/fr/news/tsitsernakaberd.html [109] REY-FLAUD Henri, L’éloge du rien, il faut croire quelque chose dans le monde, Seuil, 2010, page 84 [110] Rey flaud Ibid p 85 [111] COLLECTIF Avis de recherche, une anthologie de la poésie arménienne moderne, ed Parenthèses, Marseille, 2006, p 79 [112] Discours prononcé par Mme Bruna, Cérémonie du 28 avril 2012, Avignon, square Agricol Perdiguier. P 28 [113] LEPSIUS Johannes, Rapport secret sur les massacres d’Arménie, Docteur en théologie, président de la mission allemande d’orient et de la société germano- arménienne, 1919 http://www.imprescriptible.fr/documents/lepsius/index.htm [114] PIRALIAN-SIMONYAN Hélène, Génocide, disparition, déni, la traversée des deuils, l’Harmattan, 2007, p 25 [115] IZCOVICH Luis, Du nom du Père au père qui nomme, dans Champ Lacanien, fev 2006, La parenté, la filiation, nomination, N° 3, Ecole de psychanalyse des forums du champ lacanien, p31 [116] DIDIER-WEILL, A. 1995. Les trois temps de la Loi, Paris, Le Seuil, La couleur des idées, 1995 [117] Ibid., p 100 [118] MILLER Gérard, Comment réagir face à ça ? Article dans nouvelles d’arménie http://www.gerardmiller.fr/index.php/nouvelles-darmenie/ [119]http://www.gerardmiller.fr/index.php/nouvelles-darmenie/ [120] FREUD S., Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort, Essai de psychanalyse, Paris, 1981 [121] LEGENDRE P.Leçons IV, suite 2, Filiation, Fayard, Paris, 1990, p 353 [122] Ibid page 375 [123] FREUD S ; Pourquoi la guerre ? Dans Résultats, Idées, Problèmes, tome II, PUF, 1958 [124]Ibid. [125] THANSASSEKOS Yannis, directeur de la fondation Auschwitz, Shoah, objet métaphysique, dans Bulletin 73 oct-dec 2001, fondation Auschwitz. [126] Ibid [127] MOLINA Simone, Archives incandescentes, Ecrire entre la psychanalyse, l’histoire et la politique, Coll Che Vuoi ? L’Harmattan, Paris, 2011, p 110 [128] Ibid p 32 [129] DIDIER-WEILL Alain, Les trois temps de la loi, La couleur des idées, Seuil, 1995, p 283 [130]MOLINA Simone, Archives incandescentes, Ecrire entre la psychanalyse, l’histoire et la politique, Coll Che Vuoi ? L’Harmattan, Paris, 2011, p 110 [131] LEVI Primo, Si c’est un homme, Julliard, Paris 1987, p 114 [132] Homo sacer, homme sacré, statut issu du droit romain. [133] ARENDT Hannah, Les origines du totalitarisme, Quarto, Gallimard, 2002, p 707 [134] ARENDT Hannah, Le Système totalitaire, p 204 [135] ROUYER Muriel, « La politique par le droit », Raisons politiques, 2003/1 no 9, p. 65-80. DOI : 10.3917/rai.009.0065 [136] AGAMBEN Giorgio, L’état d’exception, Le monde diplomatique, décembre 2002 http://www.egs.edu/faculty/giorgio-agamben/articles/letat-dexception/ [137] Ibid page 29 [138] Ibid page 369 [139] LEGENDRE P., Leçons IV, L’inestimable objet de la transmission, Fayard, Paris, 2004 [140] SOKO Phay-Vakalis, « Le génocide cambodgien » Déni et justice, Études, 2008/3 Tome 408, p. 297-307. [141] TERNON Yves, La cause Arménienne, Seuil, Paris, 1983 [142] ALTOUNIAN Jeanine, L'intraduisible - Deuil, mémoire, transmission Dunod, 2005, p XVI [143] TERNON Yves, l’état Criminel, Seuil,1995 [144] http://www.franceculture.fr/emission-journal-de-8h-douch-condamne-a-la-prison-a-perpetuite-2012-02-03 [145] DAVIS, Leslie, La Province de la mort, Archives américaines concernant le génocide des Arméniens (1915), ,Bruxelles, Editions Complexe, 1994, p. 52. [146] PIRALIAN Hélène, http://www.atlantico.fr/decryptage/senat-vote-loi-penalisation-deni-genocide-armenie-turquie-helene-politique-psychologie-peuples-piralian-simonyan-2776 [148] HADDAD Gérard, Lumière des astres éteints, la psychanalyse face aux caps, Grasset, 2011, p 160 [149] ALTOUNIAN Janine, L’intraduisible, deuil, mémoire, transmission, DUNOD, 2005, p 66 [150] HADDAD Gérard, Lumière des astres éteints, la psychanalyse face aux camps, Grasset, 2011n p 38 [151] MOLINA Simone, Archives incandescentes, Ecrire entre la psychanalyse, l’histoire et la politique, Coll Che Vuoi ? L’Harmattan, Paris, 2011, p 20 [152] Das Radikal Böse : c’est un référence à Kant [153] SEMPRUN, Jorge, L’Ecriture ou la vie, Paris, Gallimard, NRF, 1994, p 98 [154] ANTELME Robert, L’espèce humaine, Gallimard, 1996, p 241 [155] CHALIAND Gérard , Mémoire de ma mémoire, Julliard, Paris, 2003, p 100 |