Dans
son blog, Rodney Dakessian, Docteur
en droit public de l’Université Jean
Moulin à Lyon, avocat inscrit au
barreau de Beyrouth depuis, 2009, a
présenté publiquement, le 14
décembre 2012 une thèse
intitulée :« Les effets juridiques
des massacres commis contre les
Arméniens en 1915 et leurs possibles
modes de résolutions judiciaires et
extrajudiciaires.“. Celle-ci est la
première au monde à étudier le “cas
arménien“, en particulier d’un point
de vue juridique. Il espère, un
jour, pouvoir appliquer ses idées et
pensées, à propos du génocide des
Arméniens, fondées sur le droit
international en toute objectivité
et réaliser son rêve de résoudre
“l’affaire arménienne“.
Ci-dessous l’extrait
déterminant la volonté du
gouvernement ottoman d’en finir avec
les Arméniens.
Des
« éléments, largement suffisants,
montrent en effet l’existence d’une
intention délibérée d’exterminer la
population arménienne.
Le
compte rendu d’une réunion secrète
du comité central du parti Ittihad
conservé dans les archives
britanniques est, à cet effet, un
document particulièrement probant.
Cette réunion s’est très
certainement tenue en janvier 1915
après la défaite de l’armée ottomane
contre l’armée russe à Sarikamich.
C’est à cette occasion que certains
membres de l’Ittihad (Talaat, Nazim,
Chakir notamment) établirent les
« dix commandements » suivants :
1
-
En s’autorisant des articles 3 et 4
du CUP, interdire toutes les
associations arméniennes, arrêter
ceux des Arméniens qui ont, à
quelque moment que ce soit,
travaillé contre le gouvernement,
les reléguer dans les provinces,
comme Bagdad ou Mossoul, et les
éliminer en route ou à destination.
2
-
Confisquer les armes.
3
-
Exciter l’opinion musulmane par des
moyens appropriés et adaptés dans
les districts comme Van, Erzeroum ou
Adana où il est de fait que les
Arméniens se sont déjà acquis la
haine des musulmans, et provoquer
des massacres organisés, comme
firent les Russes à Bakou.
4
-
S’en remettre pour ce faire à la
population dans les provinces comme
Erzeroum, Van, Mamouret ul Aziz et
Bitlis et n’y utiliser les forces
militaires de l’ordre (comme la
gendarmerie) qu’ostensiblement pour
arrêter les massacres ; faire au
contraire intervenir ces mêmes
forces pour aider activement les
musulmans dans des circonscriptions
comme Adana, Sivas, Brousse, Ismid
et Smyrne.
5
-
Prendre des mesures pour exterminer
tous les mâles au-dessous de 50 ans,
les prêtres et les maîtres d’école ;
permettre la conversion à l’Islam
des jeunes filles et des enfants.
6
-
Déporter les familles de ceux qui
auraient réussi à s’échapper et
faire en sorte de les couper de tout
lien avec leur pays natal.
7
-
En alléguant que les fonctionnaires
Arméniens peuvent être des espions,
les révoquer et les exclure
absolument de tout poste ou service
relevant de l’administration de
l’État. —8o Faire exterminer tous
les Arméniens qui se trouvent dans
l’armée de la façon qui conviendra,
ceci devant être confié aux
militaires.
9
-
Démarrer l’opération partout au même
instant afin de ne pas laisser le
temps de prendre des mesures
défensives.
10
-
Veiller à la nature strictement
confidentielle de ces instructions
qui ne doivent pas être connues par
plus de deux ou trois personnes ».
On
peut retrouver ce document sur le
site
Imprescriptible
ICI
[...] Ce texte a servi en tant que
circulaire destinée aux vali
(l’équivalent de gouverneurs
régionaux) afin qu’ils mettent à
exécution le plan d’extermination de
la population arménienne. Ce
document peut être considéré comme
authentique. Il a été récupéré par
les autorités britanniques en 1919
par l’intermédiaire de Ahmed Essad
ancien chef de service de
renseignement turc qui fut
secrétaire de la conférence secrète
de l’Ittihad tenue en janvier 1915.
À lui seul ce document pourrait
servir de preuve irréfutable d’une
intention réelle et planifiée
d’exterminer les Arméniens de
l’Empire ottoman. On pourrait
rajouter les nombreux témoignages
étrangers, les récits des
survivants, des documents ottomans
tels que résultant des procès des
Cours martiales qui montrent tous
l’existence d’une volonté délibérée
d’exterminer en tant que tel le
peuple arménien.
En
second lieu, un élément objectif
révélant l’intention peut-être tiré
de l’organisation des massacres.
Pour M. Semelin : « ce qui atteste
encore le mieux la volonté de ceux
qui décident le massacre, c’est son
organisation pratique, c’est-à-dire
la mise en œuvre des moyens pour
parvenir à l’élimination physique de
telle ou telle catégorie de
populations ». Il n’est pas
contestable que la destruction
physique du peuple arménien a été
organisée au plus au sommet de
l’État par le biais d’une structure
pyramidale : les ordres étaient
transmis du ministère de l’intérieur
aux vali qui les faisaient ensuite
exécuter sur le terrain, notamment
par l’Organisation spéciale. La
déportation des Arméniens était,
quant à elle, confiée à une
Commission des déportés. Il y avait
donc une administration dont la
fonction était de gérer le processus
d’extermination des Arméniens. De
manière plus générale, leur
élimination obéissait à une
rationalité d’ensemble et n’était
pas issue de volontés désordonnées
et sporadiques. Les massacres et les
déportations n’étaient pas conçus et
exécutés de manière isolée ou
ponctuelle mais au contraire
répondaient à un véritable plan. Il
y avait un objectif net :
l’extermination, la destruction,
l’anéantissement (tous ces mots se
retrouvent dans les différents
témoignages) du peuple arménien. En
outre, l’acte d’accusation du procès
des Unionistes - déjà développé
précédemment - pointait le caractère
intentionnel de l’extermination des
Arméniens. Selon ses termes, la
destruction des Arméniens était « le
résultat de décisions prises par le
Comité central de l’Ittihad ».
D’après l’acte de poursuite, il y
avait un plan décidé en vue de
l’extermination dont la mise en
application se faisait par le biais
d’ordres transmis soit oralement
soit par des messages codés. Le
texte de l’acte d’accusation
précisait même que « les meurtres
ont été commis sur l’ordre et au su
des Talât, Djemal et Enver bey ».
Une
dernière précision quant à l’élément
intentionnel du génocide doit être
apportée. L’article II de la
Convention de 1948 dispose que
l’intention visée est celle de
détruire un groupe « en tout ou en
partie ». Cette nuance quant à
l’intention de détruire soit la
totalité soit seulement une partie
d’un groupe humain a été abondamment
commentée. Cela signifie que
l’intention de détruire un groupe
peut porter sur une partie seulement
de ce groupe. Il faut alors que la
partie du groupe humain dont
l’extermination est voulue soit
substantielle. Pour qu’il y ait
génocide, il n’est donc pas
nécessaire que les auteurs de
l’infraction aient l’intention de
faire disparaître totalement de la
surface de la planète le groupe
victime. L’intention poursuivie
d’une élimination partielle (qui
peut naturellement provoquer des
millions de morts) suffit à
caractériser le crime de génocide.
Dans le cas arménien, les autorités
ottomanes ont eu l’intention
d’exterminer les Arméniens de
l’Empire ottoman et non tous les
Arméniens de la planète (ce qui
concernait concrètement la diaspora
arménienne déjà existante en 1915).
L’extermination des Arméniens
n’avait pas de vocation universelle.
Le motif était essentiellement
politique : il fallait régler par le
meurtre de masse la « Question
arménienne » dans le cadre d’un
Empire ottoman menacé de
désagrégation. Le fait que
l’intention ait été celle d’une
élimination d’une partie des
Arméniens existants n’empêche pas la
qualification de génocide.“
Rodney Dakessian
Beyrouth le 30
juillet 2013
« des méfaits qui feront trembler
pour toujours la conscience de
l’Humanité » : déclara le Grand
Vizir lors de la Conférence de la
paix en juin 1919
Source Jean Eckian
04.10.2013 dans Nouvelles d'Arménie
Magazine