Je voudrais poser une question très simple et ordinaire. Auriez-vous souhaité être Arménien en 1915 ?
Non, pas vous. Puisque maintenant vous savez que vous auriez été tué. Cessez, s'il vous plaît, d'argumenter au sujet du nombre d’assassinés, de démentir ou de tenter de remplacer la douleur avec des statistiques. Personne ne nie que des Arméniens ont été assassinés, pas vrai ? peut être 300.000 ou 500.000, ou 1.5 million. Je ne sais pas quel nombre est la vérité ou si quelqu’un le sait exactement. Ce que je sais, c'est l'existence de la mort et de la douleur au delà de ces nombres. Je me rends également compte à quel point nous oublions que nous parlons d'êtres humains quand nous parlons de chiffres. Ces chiffres ne peuvent pas décrire les bébés assassinés, les femmes, les personnes âgées, les adolescents garçons et filles. Si nous laissons les chiffres de côté et si nous nous permettons d'entendre seulement l'histoire d'un de ces meurtres, je suis sûr que même ceux d'entre nous qui sont exaspérés quand ils entendent les mots “Génocide arménien” ressentiront la douleur, auront des larmes aux yeux. Puisqu'ils se rendront compte que nous parlons d'êtres humains. Quand nous entendons parler d’un bébé tiré des mains d'une mère pour être fracassé sur les rochers ou des jeunes tirés vers la mort près d'une colline, ou d'une vieille femme étranglée, même le plus impitoyable parmi nous aura honte mais dira : “oui, mais ces personnes ont tué les Turcs.” La majeure partie de ces personnes n'ont tué personne. Ces personnes sont devenues les innocentes victimes d’un gouvernement porté sur le meurtre, sans pitié mais aussi totalement incompétent pour gouverner.
Cette folie sanglante était une barbarie, pas quelque chose qui nous donne de la fierté ou fait partie de nous. C'était un abattage dont nous devrions avoir honte et si possible avoir de la compassion et partager la douleur. J'ai appris que le mot “génocide” a une signification critique, basée sur l'insistance implacable de l'argument “acceptez le génocide des Arméniens” ou le contre argument des Turcs “non, ce n'était pas un génocide quoique les Turcs acceptent la mort des centaines de milliers d'Arméniens”. Mais, ce mot n'est pas celui le plus important pour moi, quoiqu'il ait la signification en politique et en diplomatie. Ce qui est le plus important pour moi est le fait que beaucoup de personnes innocentes ont été tuées si cruellement. Quand je vois l'ombre de cet événement sanglant sur le monde, je vois une plus grande injustice faite aux Arméniens. Notre crime aujourd'hui ne doit pas permettre aux Arméniens actuels de s'affliger pour leurs parents et familles cruellement tués. Quelle vie arménienne en Turquie peut aujourd'hui s'affliger et commémore une grand-mère, un grand-père ou un oncle assassiné ? Je n'ai rien en commun avec le péché terrible du passé des Ittihadistes, mais le péché de ne pas commémorer les morts appartient à nous tous aujourd'hui. Voulez-vous vraiment commettre ce péché ? Y a-t-il quelqu’un parmi nous qui ne laisserait pas couler une larme pour une famille attaquée dans sa maison au milieu de la nuit ou pour une petite fille marchant seule dans le désert durant ce cauchemar appelé "déportation" ou pour la mort d’un grand-père à la barbe blanche ?
Que vous l'appeliez génocide ou pas, des centaines de milliers d'êtres humains ont été assassinées. Des centaines de milliers des vies se sont éteintes. Le fait que quelques troupes arméniennes aient assassiné quelques Turcs ne peut pas être une excuse pour masquer la vérité des centaines de milliers d'Arméniens assassinées. Un être humain digne de ce nom doit être capable de s'affliger pour les Arméniens, aussi bien les Turcs, aussi bien les Kurdes. Nous le devrions tous.
Bébés morts ; femmes et personnes âgées mortes. Ils sont morts dans la douleur, la tourmente, et la terreur.
Est-il vraiment si important de connaître la religion ou race ces personnes assassinées ?
Même dans ces périodes terrifiantes il y avait des Turcs qui ont risqué leurs vies essayant de sauver les enfants arméniens. Nous sommes les enfants de ces sauveteurs, aussi bien que les enfants des meurtriers. Est-ce qu'au lieu de nous justifier et de discuter au nom des meurtriers, pourquoi ne nous félicitons pas de la compassion des sauveteurs, leur honnêteté et leur courage ?
Il n'y a plus de victimes à sauver aujourd'hui, mais il y a une peine, une douleur, qui doit être partagée et soutenue.
Oubliez les chiffres, oubliez les Arméniens, oubliez les Turcs, pensez juste aux bébés, aux adolescents, aux personnes âgées avec leur cou brisé, leur corps éventré. Pensez à ces personnes, une par une.
Si vous ne ressentez rien lorsque vous entendez pleurer un bébé alors que sa mère vient d'être assassinée, je n'ai rien à vous dire.
Ajoutez alors mon nom à la liste de “traîtres”. Puisque je suis prêt à partager la peine et la douleur avec les Arméniens. Puisque je crois toujours qu’il y a quelque chose pourtant qui peut être sauvé de tous ces arguments sans signification et sans pitié, et ce quelque chose s'appelle l'humanité.
Ce texte daté du 9 mai 2005 est paru dans Gazetem.
Version turc : http://www.gazetem.net/aaltanyazi.asp?yaziid=187
Traduit à partir de l'Anglais.