Abdul-Hamid avait fait massacrer 200.000 Arméniens. Les Jeunes-Turcs, depuis qu’ils sont les alliés des Allemands, ont de beaucoup dépassé ce chiffre déjà effroyable. Ils ont fait périr un million d’hommes, femmes et enfants de cette race infortunée. Ils n’ont accompli cet abominable forfait qu’après en reçu l’autorisation expresse du gouvernement du kaiser, et la presse allemande officieuse s’est couverte de honte en approuvant publiquement ces massacres. La sozialdemokratie s’est soigneusement gardée de faire entendre la moindre protestation.
Toutes les nouvelles, de toutes les sources, parvenues de Constantinople, de Smyrne, d’Angora, de Van, etc., etc., s’accordent dans la description des horribles scènes de carnage dont les victimes sont, depuis le début de la guerre, les populations arméniennes de l’empire. Les Turcs ont dressé un plan pour l’extermination complète des Arméniens et ils l’exécutent avec une sauvagerie qui fait dresser les cheveux sur la tête, avec des raffinements de cruauté dont l’histoire de l’humanité, même dans les siècles les plus reculés, donne peu d’exemples. Et ils tuent, ils massacrent, ils pillent, ils brûlent, ils détruisent sous les yeux mêmes de leurs patrons les Allemands, qui les encouragent dans cette horrible besogne.
Sont seuls épargnés du massacre ceux qui se convertissent à l’islamisme, et ceux-là encore sont déportés loin, loin de leurs villages, des villes, des campagnes, et isolés de leurs femmes et de leurs enfants, qui sont islamisés de force et répartis parmi les familles musulmanes ! On a justement appelé Abdul-Hamid « le Sultan Rouge », mais de quel nom seront-ils connus dans l’histoire ces Jeunes-Turcs et leurs amis et alliés, les soi-disants chrétiens, les Teutons ?
Le Times a donné de nombreux détails sur les derniers massacres :
« D’après la méthode hamidienne, les hommes valides sont mis à part et envoyés à des bataillons de forçats ou tués par-ci par-là par les troupes. Les femmes, les enfants, et les vieillards prennent le chemin de l’exil, notamment du désert qui se trouvent entre Aleppo et l’Euphrate.
« Les souffrances de ces malheureux sont horribles. Ils marchent sous le soleil brûlant sans pouvoir se procurer ni du pain ni de l’eau. Beaucoup de femmes virent périr leurs enfants sous leurs propres yeux. Les gendarmes qui les conduisaient organisaient les scènes les plus répugnantes.
« Des femme – nous assure lord Bryce – étaient dévêtues et obligés de poursuivre leur marche dans la nudité la plus complète. Quelques-unes de ces pauvres créatures devinrent folles et jetèrent leurs enfants. »
« D’autres, pour sauver leur honneur, se précipitèrent dans l’Euphrate. La totalité de la population arménienne de Trébizonde disparut, dans un seul après-midi, sous les flots du fleuve historique. Le consul italien, qui rapporte ces faits, déclare qu’il fut obligé d’y assister sans pouvoir rien faire pour les empêcher.
« Au début de septembre, lorsqu’un massacre paraissait imminent, des bateaux français et anglais arrivèrent heureusement, et 4.000 Arméniens, hommes et femmes, furent embarqués.
Et ces horribles massacres, répétons-le, sont accomplis par les Turcs avec l’approbation tacite des Allemands.
« Les massacres d'Arménie »
Numéro 1303 du dimanche 12 décembre 1915