Les problèmes de déviation, d’absence et de disparition de documents

Actes d’éviction de matériaux de preuves (par dissimulation de l’intention génocidaire)

Archives du Patriarcat arménien de Jérusalem :

Lors de la 9ème séance de la série des procès de Yozgat (22 février 1919) fut produit le câble de Mustapha chef militaire Boğazlyan, dans lequel il déclarait que sa référence à la « déportation » (sevkiyat) signifiait que les déportés arméniens étaient tués (Katl edilidikleri). Les séries d’archives n° 17, dossier Ho, doc. N° 511, 592 [les rapports de presse de la séance d’Istanbul se trouvent à Ikdam Renaissance, 23 février 1919].
Lors de la 12ème séance (6 mars 1919) un câble d’Hulusi (le commandant de gendarmerie de la même ville) fut produit, dans lequel il est rapporté que les Arméniens avaient été « déportés, c’est-à-dire anéantis » (sevkiyat yani mahv yanasina).
Archives séries 21, dossier M, doc. N° 298, 324, 506.
Lors de la 11ème séance (5 mars 1919, l’ex-gouverneur de Yozgat Cemal, témoigna personnellement qu’il lui avait été interdit de voir une note manuscrite, écrite dans un carnet secret de Necati, le secrétaire responsable du secteur. Necati demandait que lui, Cemal se mette à organiser le massacre des convois de déportés. Cemal refusa et fut relevé de son poste dans les deux semaines qui suivirent son refus [ rapport de presse d’Istanbul dans Renaissance, le 16 mars 1919].

Takvimi Veyaki N° 3540, 28 avril 1919, séance publiée en date du 5 mai 1919 .

pp.4-5 : la Cour répète à plusieurs reprises dans son inculpation clé le recours par les exterminateurs « à des instructions orales et secrètes » pour la mise en œuvre des massacres (talimatı şifahiye ve mahremaniye ; şifahi ve hafi evamir ve talimat itası).
p.6 Un télégramme chiffré par le dr. B Şakir qui demande au secrétaire responsable de la province de Harput, Resneli Nâzım, si les Arméniens ont été « liquidés et détruits » (tasfiye ve imha) ou s’ils ont été simplement déportés. Le chiffre fut réintroduit dans les séries de procès des secrétaires responsables, dans le verdict desquels la Cour insista sur l’intention véritable des mesures anti-arméniennes qui étaient « la destruction et l’anéantissement » (ifna ve imha) Des références se trouvent aussi dans Takvimi Veyaki, N° 3772, p 41.
p.8. Les mentions de la Cour de lever les charges envers les deux gouverneurs pour avoir refusé d’obéir aux ordres de massacres, soit : Celal d’Alep et Mazhar de la province d’Ankara, qui refusèrent d’aller au delà de la déportation ; sont également mentionnés deux gouverneurs d’un rang inférieur auxquels une embuscade fut tendue et qui furent tués parce qu’ils avaient refusé d’organiser des massacres sans ordres écrits.

N° 3616. Verdict de Trabzon, 22 mai 1919 - date de publication 7 août 1919.

p.1 - « Le massacre et la destruction (taktil ve ifna) des Arméniens, furent exécutés selon des ordres secrets par des hommes qui avaient ostensiblement l’ordre de mettre en œuvre la loi de déportation » (zahiren tehcir kanununu tatbik etmek).

N° 3617. Verdict de Yozgat 8 avril 1919, date de publication 7 août 1919.

p.2 - « Les documents, personnellement signés par les défendeurs, confirment le fait que les gendarmes escortaient les convois de déportés dans le but de les massacrer. Il ne peut y avoir aucun doute ni hésitation à ce sujet. » (maksadi taktili olduğundan şüphe ve tereddüt bırakmadığından).

Actes de suppression de preuves

Archives du Foreign Office britannique. F0371/4172/31307, folio 385.

Le 10 février 1919 l’Amiral Calthorpe, Haut Commissaire britannique, transmet à Londres la copie d’un document mis en sûreté par l’intermédiaire d’un agent des services secrets britanniques dans lequel un fonctionnaire des services secrets turcs chargé des archives de temps de guerre du Ministère de l’Intérieur déclare : « Juste avant l’armistice, des Officiels ont été à la Direction des archives la nuit et ont fait un grand nettoyage de tous les documents »

Archives du Ministère des Affaires étrangères d’Allemagne. A.A. Türkei 158/21, A48179

Le 6 novembre 1918, en Turquie, le Grand Vizir Izzet Paşa adressa une protestation à Berlin contre le Général allemand von Seeckt, le dernier chef du personnel du temps de guerre du Quartier Général Ottoman, pour avoir emporté avec lui « tous les dossiers du Quartier Général ottoman, malgré sa promesse formelle de ne pas emporter ces pièces qui sont la propriété du Gouvernement… »( en français). [Une source turque confirme cette suppression (pp. 435-437). Çavdar, Tevfik (1984) Talat Paşa. Ankara : publications Dost. 512 pp - le 24 novembre 1919, Berlin promit de retourner ces documents appartenant à la Turquie.

Presse d’Istanbul :

Nor Giank 29 janvier 1919

Le Ministre de l’Intérieur par intérim Ahmet Izzet (Kambur), dans une interview, a déclaré « que les documents prouvant la culpabilité des Ittihadistes ont été fait disparaître par les Ittihadistes eux-mêmes. Pour ce motif, nous avons recours aux cours martiales spéciales où l’intime conviction et le témoignage peuvent servir de substituts des preuves évidentes ».

Tunaya T.Z. (1986) Türkiyede Siyasal partiler (partis politiques en Turquie), Vol.2, seconde édition enrichie) Istanbul, Hurriyet Vakfi publications 694 pp.

p.96, n° 16 - citant le témoignage de Midhat, secrétaire général de l’Ittihad, devant la cour de l’Indépendance, Tunaya déclare : « Les documents du parti Ittihad furent brûlés dans un valise par le Dr. Behaeddin Şakir après avoir été enlevés du quartier général du parti par le Dr. Nâzım ; la valise fut alors emportée dans la maison de l’avocat Ramiz, beau-frère de Şakir ». (l’exactitude de la déclaration ultérieure de Midhat Sükrü, faite en 1926, et citée également par l’auteur Tunaya, comme quoi Ramiz, effrayé détruisit alors les documents, est démentie par les révélations de la presse turque en décembre 1918, lorsque la police turque fit une descente dans la maison de Ramiz, et trouva, saisit et remit ces documents à la cour martiale. Aksam 12 décembre 1918, Tasviri Efkâr - 13 décembre 1918).

Actes de destructions de preuves

Atay, F.R. (1980) (Çankaya, Istanbul : Sena 586 p.)

pp.127-128. Pendant la guerre, l’auteur était commandant de la 4ème armée (et étant en même temps Ministre de la Marine, Secrétaire personnel de Cemal Paşa et Député directeur de son bureau privé. Il déclare qu’avant la fuite de Cemal d’Istanbul… « certains de ses dossiers [contenant] des documents officiels furent laissés à la douane de Seyfi, et l’un de ses hommes, effrayé, les brûla ».

Aydemir S.S. (1972)Makedonyadan Ortayasyaya Enver Paşa (Enver Paşa de Macédoine en Asie Centrale) Vol. 3, 1914-1922. Istanbul : Remzi 696 pp.

p. 493 : « Avant la fuite du chef des dirigeants Ittihadistes, Talat Paşa s’arrêta à la résidence du bord de mer de l’un de ses amis, tout près d’Arnavudköy, y déposant une valise de documents. On dit que les documents furent brûlés dans le poêle de la cave. En réalité… les documents et autres papiers du Comité Central de l’Ittihad n’ont été trouvés nulle part ».

Les Archives du Foreign Office britannique

FO371/4174/15450

Folio 182. Le 24 janvier 1919, les Forces expéditionnaires égyptiennes du Q.G. de l’armée britannique interceptèrent le télégramme suivant du Ministre de l’Intérieur turc au gouverneur de province d’Ayıntab, une ville située à l’est d’Adana : « Brûlez les originaux des télégrammes officiels depuis la mobilisation, des dossiers du district ».

FO371/1474/102551

Folio 108-111. Le 17 juin 1919, le Ministre des Affaires Etrangères Turques Safa adressa une note verbale au Haut Commissaire britannique protestant contre la saisie pour des buts d’examen par un officier britannique, de papiers officiels sous la responsabilité du gouverneur d’Ayıntab. Dans cette note, le Ministre des Affaires Etrangères révèle que le Directeur du Service télégraphique basé à Diyarbekir avait envoyé une circulaire par télégramme ordonnant à ses subordonnés de province de détruire les originaux de tous les câbles précédents [1914-1918]. Lorsqu’il expliqua ce comportement à Londres l’Amiral Calthorpe « attira l’attention sur la teneur de cette note qui traite comme une simple matière de routine de bureau une affaire aussi importante que la destruction proposée de documents relatifs à la période des déportations, des massacres et des activités des autorités turques pendant la guerre ». Il invoqua également « le principe des fonctionnaires civils dans les territoires occupés, obligés de se plier aux instructions des autorités militaires d’occupation ». (folio 110) [le War Office Britannique pour sa part avisa le Q.G. en Egypte que, selon les paragraphes 374 et 406, 1ère partie, Manuel de la Loi militaire, « Vous avez le droit de confisquer les rapports du temps de guerre » (FO371/4172/15450). Finalement, le Ministre des Affaires Etrangères Curzon, le 19 juillet 1919 apposa ce qui suit dans les marges de la dernière page de la correspondance officielle respective « J’approuve votre attitude dans cette affaire » (folio 111)

FO371/5166/E1782 Rapports 575, 592

Folio 33. Dans ce résumé hebdomadaire des rapports des Services secrets, daté du 4 mars 1920, l’Intelligence Service Militaire britannique, bureau M.1.1.c, a soulevé le problème de « la disparition des documents incriminant » un certain nombre d’Ittihadistes et de nationalistes. Mettant en relief une déclaration faite par Rauf (Orbay) héros turc de la guerre navale, le Ministre de la Marine de 1918, et le Premier Ministre de 1922,23, le rapport, page 2, déclare « qu’il pressa la destruction des documents incriminables. On comprend que Rauf avait déjà arrangé la disparition du matériel documentaire impliquant lui-même et Enver Paşa ».

Ertürk H. (1957) 2 Devrin Perde arkasi (derrière les scènes de deux ères) édité par S.N. Tansu, Istanbul : Ed. Hilmi, 572 pp.

pp. 216, 220, 274. L’auteur était impliqué dans l’organisation des cadres de l’Organisation Spéciale pendant la guerre et se vit confier par le Ministre de la Guerre Enver, la tâche de superviser les intérêts de l’organisation après la fuite d’Istanbul des chefs dirigeants de l’Ittihad. Il devait accomplir cette mission sous les yeux des Forces d’occupation alliées. Les rapports pertinents à la disposition d’Enver furent d’abord retirés dans une maison entourée de vastes jardins potagers à Topkapi, et plus tard incinérés par le propriétaire pharmacien Ahmed.

Karay, R.H. (1964) Minelbab Lelmihrab (D’un bout à l’autre) Istanbul : Inkilâp & ; Aka éditeurs, 230 pages.

P 221. En 1919, l’auteur était Directeur général du Service télégraphique de Turquie, un poste analogue à celui d’un ministre. Il reproduit, dans son volume biographique, une déclaration de H. Sadik Durukal, indiquant que le prédécesseur de Karay, Mehmet Emin, avait envoyé des ordres télégraphiques officiels à tous les principaux centres télégraphiques du pays, leur ordonnant de « détruire tous les papiers officiels, les originaux et les copies de tous les télégrammes ». L’auteur reçoit l’ordre, par Durukal de sauver son prédécesseur des griffes du Tribunal Militaire Turc, par intervention personnelle. Comme l’affirme Karay, le Tribunal considérait les documents, qu’il avait reçu l’ordre de détruire comme des preuves accusatrices relatives aux « déportations et massacres » des Arméniens (tehcir ve taktil)

Stoddard Philip H. (1963) The Ottoman Government and the Arabs, 1911 à 1918. Une étude préliminaire de Teşkilât-ı Mahsusa. Ann Harbor, M.I. University Microfilms, 245 pp.

p.229 « … les agents et unités du Q.G. [de l’Organisation Spéciale] conformément aux ordres formels d’Enver Paşa, détruisirent les papiers qu’ils transportaient… »

Tavkimi Vekayi. N° 3573, 3 juin 1919, session publiée en date du 12 juin 1919.

pp. 141-148. Lors de la dernière session l’ex-Ministre de la Poste Huseyin Haçim, admit avoir ordonné que « tous les télégrammes militaires soient brûlés selon les ordres du bureau de la Guerre ». Dans son témoignage à la barre des témoins, il déclara que « Le Ministre de l’Intérieur est responsable des crimes ». [les comptes-rendus de la presse d’Istanbul sont dans Le Bosphore, Moniteur Oriental du 4 juin 1919]

Presse d’Istanbul :

Monitor Oriental, 6 juin 1919

Reproduit un échange entre le Président de la Cour martiale et l’ex-Ministre de la Poste Hasim, à la Cour Martiale de Çatalca au sujet des motifs invoqués par ce dernier pour avoir ordonné la destruction de tous les documents postaux et télégraphiques du bureau de Çatalca. Haçim admit que l’ordre avait été donné pour des nécessités politiques ou militaires [Or, lors de ce même procès le défendant Osman, directeur du bureau de poste de Çatalca, à qui la question avait été posée, avoua le fait que l’ordre concernait les documents relatifs aux déportations et aux massacres. Joghovourt, 6 août 1919]

Renaissance, 11 et 12 février 1919.

Lors de la 3ème session des séries de procès de Yozgat (10 février 1919) le juge qui présidait ordonna la lecture d’une portion de l’interrogatoire préliminaire du chef défendant Kemal, dans lequel il avait admis avoir reçu des ordres des autorités centrales de brûler certains télégrammes après les avoir lus. Cet acte fut répété lors de la 13ème session (24 mars 1919). [Voir aussi Istiklâl du 25 mars 1919]

Le courrier de Turquie, 4 avril 1919

Rapporte un essai gouvernemental pour avoir tous les télégrammes codés qui ont été détruits, mais ceux « relatifs aux massacres » ont été reconstitués et adressés à la capitale ottomane. Des ordres appropriés ont été envoyés « à tous les bureaux télégraphiques et administratifs ».

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Reproduit avec la permission de :
Genocide: A Critical Bibliographic Review, Vol. 2 (Israel W. Charny, ed.)
London: Mansell Publishing; New York: Facts On File,
1991 © 1991 by Institute on the Holocaust and Genocide,
PO Box 10311, 91102 Jerusalem, Israel.

Traduction : Louise Kiffer
Collaboration : Laurence Pfister
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